Panorama de l’année culturelle Saintongeaise en 2019

Panorama de l’année culturelle Saintongeaise en 2019

Discours d’ouverture des Prix de l’Académie de Saintonge 2019 : Marie-Dominique Montel

Directrice de l’Académie de Saintonge

01 montel À la fin du XVIIIe s., l’auteur du roman Paul et Virginie, Bernardin de Saint-Pierre, écrivain et grand voyageur, soumit une théorie à l’académie des Sciences sur le phénomène des marées. Elles étaient dues, expliquait-il, à l’action du soleil sur les banquises du pôle. De jour, les glaces réchauffées fondaient, la quantité d’eau liquide augmentait, la marée montait. De nuit, la glace se reformait, le niveau de la mer redescendait. La preuve, les grandes marées ont lieu à la fin de l’été quand il y a eu beaucoup d’ensoleillement. Vous pensez bien que dans une région d’ostréiculture, de marine à voile et de pêche à pied comme la nôtre, le sujet a fait mouche. On a saisi tout l’intérêt d’une académie. Et l’idée a fait son chemin. Seulement, à la façon des charentais qui sont renommés pour leur lenteur : l’Académie de Saintonge a vu le jour en… 1957. Entre temps, la théorie de Bernardin de Saint-Pierre avait été battue en brèche. Ce n’est pas grave ; les 25 académiciens élus ne se consacrent pas seulement aux marées, mais à tous les domaines de la culture.

Notre académie a deux particularités : la première est géographique, L’académie de Saintonge – comme son nom l’indique – n’est pas l’émanation d’une ville mais d’une région. L’ancienne province de Saintonge recouvre l’ensemble du département de Charente-Maritime et même au delà, jusqu’à Jarnac, Cognac ou Barbezieux en Charente, tandis qu’au nord elle englobe l’Aunis de création récente puisqu’il date seulement de 1374. En conséquence, mes collègues viennent d’un large territoire dont ils connaissent fort bien les richesses et les difficultés. En conséquence également, nos assemblées sont itinérantes, chaque trimestre nous voit dans une localité différente, à la decouverte de son patrimoine, de ses ressources culturelles et des personnes qui en assument la responsabilité.

La deuxième spécificité de l’Académie de Saintonge, ce sont ses prix. Soucieuse de vulgariser les travaux et les réalisations remarquables, elle s’est positionnée comme le jury régional de référence. Chaque année l’Académie décerne environ 15 prix de littérature, de science, d’histoire, des arts, du patrimoine et de la culture régionale. Il n’y a pas de dépôt de candidatures à l’académie de Saintonge, ce sont les académiciens eux-mêmes qui repèrent et soumettent à leurs collègues, qui à leur tour les examinent, les travaux et les réalisations dignes de concourir pour un prix. Quant au financement, à part le grand prix offert par les académiciens, ce sont des collectivités locales, ou des personnes morales ou privées qui y pourvoient. Il y a des prix de la Ville de Royan, de Rochefort, de Saintes, de Marennes, de la Haute-Saintonge, de la communauté Royan atlantique, de l’Aquarium de La Rochelle etc.
Le résultat c’est que les courroies de transmissions avec le monde de la culture sont de trois ordres, le réseau des lauréats, 150 en dix ans, qui sont les forces vives de la création et de la recherche dans notre région, les élus locaux maires et adjoints chargés de la culture ou responsables des institutions et associations culturelles avec qui nous sommes en contact, enfin les académiciens eux-mêmes à leur poste d’observateurs et de dénicheurs de talents.

Notre objectif est de mettre en valeur, de faire découvrir et de faire se rencontrer des spécialistes de domaines qui ne vivent pas toujours sur la même planète et qui sont parfois les premiers surpris, tel le climatologue Hervé Le Treut, l’un de nos grands prix, qui nous a écrit une de ces lettres qu’on a envie d’encadrer : « J’ai été extrêmement impressionné par la qualité des autres personnes, associations et travaux qui ont été primés. L’ouverture thématique de l’Académie est absolument remarquable, le mélange entre enracinement régional et visibilité nationale aussi ».

Notre site Internet permet, à ceux qui le souhaitent, de retrouver notre actualité, nos palmarès et de nous contacter. Nous avons aussi une page Facebook sur laquelle je vous invite à nous retrouver. Notre souci constant est d’appliquer nos exigences de qualité et d’excellence à des travaux qui suscitent la curiosité ou l’intérêt aujourd’hui. Selon la formule à la mode, de ne pas être « hors-sol » d’être en contact avec l’actualité de la création et de la recherche, mais aussi avec les attentes du public. Pour cela, nous disposons d’un instrument de mesure que nous ne soupçonnions même pas, avec les prix financés par des mécènes privés qui en déterminent le thème. Il y a un prix de littérature, deux prix d’histoire etc. Il arrive qu’un prix disparaisse quand la personne qui le finançait disparait, il arrive en contrepartie que de nouveaux prix voient jour. Nous avons ainsi vu apparaitre un prix de l’innovation, un prix du patrimoine, un joli prix de la mer. Nous primons des bandes dessinées et des bandes d’individus entreprenants qu’on appelle des associations. Bref, on discerne ainsi des courants, peut-être des modes. Mais il nous fallait encore affiner nos radars.

Faute de moyens pour nous offrir une étude, rien que pour nous, nous avons profité d’une enquête nationale du ministère de la Culture sur les attentes et les opinions du public. Les résultats sont assez étonnants ; d’ailleurs, ils sont restés confidentiels. Sans doute, parce qu’ils révèlent que les Français plébiscitent des domaines de la culture qui ne sont pas du domaine du ministère de la Culture. On peut en sourire ou s’en alarmer, à vous de juger !

Pour commencer, de façon massive (77%), quand ils entendent le mot culture, les Français pensent d’abord à… la science. En deuxième position (73%), ils mentionnent les voyages, et en troisième, aller au théâtre (62%) – plus classique mais ex-aequo (62%) – c’est sans doute le résultat qui a le plus perturbé le ministère ! – avec la cuisine. Ces réponses imprévues devancent les pratiques culturelles auxquelles vous ou moi aurions pensé : lire la presse (58%), écouter de la musique classique (57%), lire des romans (57%), jouer d’un instrument de musique (53%) et aller au cinéma (50%). Devant ces chiffres, les experts ont conclu intelligemment que les gens attendent de la culture des expériences qui les touchent personnellement, mais aussi dont ils puissent parler avec d’autres. Dans une conversation, pour trouver un sujet qui crée des liens, la recette de la mouclade de ma grand-mère fait jeu égal avec la visite d’un monument ou un bouquin sensationnel !

En considérant nos activités de l’Académie de Saintonge à l’aune de ces résultats, pour la science, ça colle : nous primons des scientifiques, nous avons même un prix de l’innovation et les interventions des lauréats dans ce domaine connaissent toujours un grand succès. Les voyages, quant à eux, recouvrent en partie, ce que nous appelons le patrimoine, les musées et probablement l’histoire. La cuisine reste évidemment plus difficile à… digérer, c’est le cas de le dire par nos critères académiques. À moins de prendre les talents culinaires en considération pour l’élection d’un prochain académicien… Je ne sais pas si c’est pertinent mais j’avoue que c’est tentant !

Plus sérieusement, les Français se retrouvent autour d’une notion de la culture qui associe l’expérience personnelle et l’échange, la rencontre. Et ça, je pense que c’est très pertinent pour nos réflexions.
La suite de l’étude porte sur la réputation d’élitisme attachée à la culture. Près de la moitié des personnes interrogées accolent spontanément au mot culture l’adjectif général. La culture générale c’est le stock de savoirs qui permet de réussir à Questions pour un champion ou aux concours de la fonction publique. Du coup, les individus ne sont plus unis dans un rapport presqu’affectif avec une œuvre d’art, un livre ou une recette de cuisine, mais sélectionnés selon leurs connaissances. C’est intimidant, ça éveille des complexes de mauvais élève.

Comme tout n’est pas sombre dans la vie, ni dans les rapports officiels, pour équilibrer cette vision discriminante, j’ai gardé pour la fin la vision gratifiante de la culture, près d’un Français sur deux l’associe à des valeurs très positives. La liste là aussi est intéressante : la tolérance, le bien-être, la curiosité, l’enrichissement. Tout cela n’est pas forcement facile à transcrire dans nos palmarès, mais peut nous permettre d’en orienter l’esprit, du moins je l’espère, avec deux fils conducteurs : La culture est perçue comme une ouverture d’esprit et une ouverture aux autres.
Et ce sont ces convictions, je crois, qui nous rassemblent tous, ici !

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