II. Saintes ou Saintonge ?
La fusion, discutée le 20 mars 1959, s’opère à la séance suivante, le 15 mai 1959. Elle apporte à l’Académie un incontestable renfort, tant en nouvelles personnalités qu’en vocation à devenir le grand jury culturel du pays charentais. Le Prix de Saintonge, héritier d’une initiative prise en 1935 par l’équipe de la revue Pays d’Ouest, et tout juste revigoré en 1947 au sein de l’association des Vieilles Maisons françaises, est présidé par Hélie de Bremond d’Ars et rassemble dix personnalités, dont trois font déjà partie de l’Académie. « Dix-sept, ce n’est pas un nombre!… », s’exclame Tonnellier ; on décide donc de faire passer statutairement à vingt le nombre des sièges, puis d’élire, à scrutin secret, mais sur une liste de candidatures préalables, trois académiciens de plus.
Les dix nouveaux membres siègent ainsi aux sièges 10 et suivants, non plus par ordre alphabétique comme précédemment, mais par ordre d’ancienneté : Hector Talvart, Maurice Hugot, Pierre Audiat, Maurice Rat, Pierre Martin-Civat, Samuel Viaud-Loti, Odette Comandon, Maurice Fombeure, Jacques Nanteuil et Yvon Bizardel. Ce qui frappe dans cette liste de noms, pour qui sait comprendre les infinies nuances du clocher charentais, c’est la largeur de son horizon géographique. Les dix fondateurs étaient tous saintongeais, cinq d’entre eux habitant même Saintes. Les dix nouveaux sont au contraire fortement marqués par leur origine du Pays d’Ouest : comme racine à leur attachement, La Rochelle voisine avec Rochefort, Cognac avec Angoulême et même Niort avec Poitiers. « Le caractère purement saintais de l’Académie tend à se diluer dans un tissu régional élargi », pensent alors certains ; « Saintes retrouve son rang de capitale culturelle régionale qu’elle avait confirmé du temps de Louis Audiat », rectifient sagement les autres ! Équilibre tactique ou simple coïncidence ? Toujours est-il que Jean Sorillet, qui cumule racines poitevines et attaches saintaises, succède alors au chanoine Tonnellier.
Ce dernier avait cherché avec passion la juste et bonne orientation à donner à sa toute nouvelle académie… Il l’avait d’abord positionnée comme simple organisatrice de conférences, « tournantes et payantes », dites par des invités et agrémentées de théâtre saintongeais mis au concours, ainsi que de la distribution d’un « prix du Mérite familial ». Plusieurs séances de ce type sont ainsi tenues en 1958 et 1959. Mais rapidement on s’aperçoit que le Mérite familial est un peu trop lié aux exigences de la mairie de Saintes, que le concours de patois se révèle un échec et que, seules, les références à la région en termes historiques ou littéraires font recette : ainsi l’hommage rendu au docteur Jean au théâtre de Saintes le 19 janvier 1958, avec Odette Comandon en vedette, ou celui à Loti le 16 août 1958 animé par Samuel Viaud-Loti à La Roche-Courbon ; « une grosse cote», commentera le chanoine Tonnellier.
Avec le docteur Sorillet, pointe une nouvelle orientation. C’est à lui que revient la première ébauche d’un protocole fixe pour la séance publique annuelle de l’Académie : réception des nouveaux membres, distribution des prix, conférence par un académicien. La formule plaît, elle ne variera guère par la suite. La première séance comportant ce cérémonial est celle du 2 août 1959 : la réception des dix nouveaux membres, la remise des prix, dont celui de Saintonge à Marthe Haury pour ses jolies Fresques saintongeaises et deux conférences, une de Chasseloup-Laubat sur l’ostréiculture, l’autre de Sorillet sur l’école de chirurgie de Saintes au XVIIIe siècle. Le tout dans la salle du grand auditorium de l’abbaye aux Dames, habitude qui demeurera jusqu’en 1982. Cependant, le conflit latent entre la vision purement saintaise du rôle de l’Académie et son extension à la région charentaise toute entière gêne les deux années de direction de Jean Sorillet. Pour maintenir une subvention de la mairie de Saintes, celui-ci propose de remettre deux « prix universitaires » pour les meilleures dissertations au baccalauréat des élèves des collèges de Saintes, l’un à une fille, l’autre à un garçon ; l’idée, mal acceptée par ses confrères car considérée comme n’étant pas à la hauteur des ambitions de l’Académie, tiendra à peine deux séances .