Jean-Denis Pendanx pour Abdallahi, bande dessinée inspirée par René Caillié
Rapport d’Alain Quella-Villéger
De René Caillié, Jules Verne regrettait dans Cinq semaines en ballon que cet « intrépide voyageur des temps modernes », auteur du « plus étonnant des voyages », ne fût pas en France apprécié à sa juste valeur. Le fait est que l’explorateur, né en Deux-Sèvres à Mauzé-sur-le-Mignon, le 19 novembre 1799, fils de bagnard tôt orphelin, a accompli à travers l’Afrique un périple solitaire sans précédent, qui mérite amplement l’admiration. Après deux séjours d’apprentissage comme marchand (1816-1817, 1818-1819), Caillié est revenu sur le continent africain, en 1824 et, déguisé en arabe, se faisant dès lors appeler « Abdallahi » (le serviteur de Dieu), il quitta Boké (Kakondy, Guinée), le 19 avril 1827, pour entrer un an plus tard à Tombouctou, y séjournant à peine deux semaines, pressé d’être le premier Occidental à en revenir vivant (via Tanger, en septembre, après avoir traversé le Sahara, et, au total, effectué plus de 500 jours de route). La dimension régionaliste du personnage est patente, mais tiraillée entre plusieurs appartenances : « un Français obstiné, doublé d’un Poitevin têtu », « parfait héros poitevin », pour les uns, plutôt vendéen, pour d’autres en raison de ses origines paternelles, mais surtout représentatif du parfait Saintongeais, selon Jacques Nanteuil (« son heureux équilibre de sens pratique et d’idéalisme, d’audace et de prudence, de ténacité silencieuse et de modération souriante. » Alors, Saintongeais, Caillié, qui a fini sa vie à Beurlay d’abord, à Champagne ensuite, pour être finalement enterré à Pont l’Abbé d’Arnoult, le 17 mai 1838 ? On l’aura compris, la question n’est pas à qui appartient notre homme. Notre région lui appartient, plutôt.
Et si c’était un Bordelais ? Il avait jadis travaillé pour une maison d’import-export de cette ville mais, surtout, depuis la bande dessinée de Pendanx et Dabitch (Futuropolis, t 1 et 2, février et septembre 2006), nous pouvons nous le demander ! Christophe Dabitch et Jean-Denis Pendanx, qui l’ont pris au sérieux, en amitié je dirai, sont bordelais et quadragénaires. Dabitch a une formation de lettres, de journalisme, et aime l’histoire ; Pendanx bien sûr vient des arts graphiques, et même décoratifs, du livre illustré, et tous deux aiment les voyages et l’Afrique. On comprend que leurs routes aient croisé celle de Caillié. Caillié appartient à la lignée des grands aventuriers solitaires. Lui rendre hommage, c’est honorer une figure emblématique de l’exploration, humble et respectueuse des autres.
Il manquait des illustrations au récit de Caillié. Ils les lui ont offertes à titre posthume, avec un scénario dépouillé et sensible, peu bavard, efficace. Jean-Denis Pendanx déploie un coloris aquarellé de belle facture, un style pictural puissant : nombre de cases constituent de petits tableaux, aux coups de pinceaux apparents ; les effets de matière, le sens des dégradés, les lumières quasi éblouissantes comme les nuits les plus glauques, captent l’œil. Les auteurs ont, certes, pris des libertés narratives. Ils ont scénarisé cette aventure, dont il faut bien dire que le héros lui-même n’en a pas laissé un récit palpitant, mais, ce faisant, ils l’ont accompagné en chemin dans sa quête, sa souffrance, son regard. Et puis, grâce à René Caillié, et surtout grâce à Christophe et Jean-Denis, pour la première fois, l’Académie de Saintonge rend hommage à une bande dessinée – comme quoi, ici aussi, l’exploration et l’aventure continuent…