Panorama de l’année culturelle Saintongeaise en 2015
Discours d’ouverture des Prix de l’Académie de Saintonge 2015 Marie-Dominique Montel
Directrice de l’Académie de Saintonge
Mes chers collègues, mesdames et messieurs les élus, mesdames et messieurs les représentants des institutions culturelles et de la presse, chers amis, je suis heureuse de déclarer ouverte cette Cérémonie des prix de l’Académie de Saintonge 2015. Le palmarès que nous allons vous présenter dans quelques instants récompense les travaux, les recherches, les œuvres et la carrière de charentais remarquables que nous couronnons par un prix de l’Académie de Saintonge.
Il y a 200 ans, très exactement 200 ans et quelques semaines, fin juillet 1815, un homme en tenue de voyage se tenait à peu près à l’endroit où nous nous trouvons, sur cette côte, attendant d’embarquer sur un navire de commerce battant pavillon américain. Il voyageait avec un seul domestique et s’appelait Bouchard, du moins c’est ce que disaient les papiers que lui avait délivré le consulat des Etats-Unis à Paris. Les rares personnes qui se retournaient sur son passage lui trouvaient une ressemblance singulière avec l’empereur Napoléon qui avait abdiqué au mois de juin précédent après la défaite de Waterloo. Le voyageur était lui-même très conscient de cette ressemblance, à tel point que quelques jours auparavant, il s’était rendu sur l’île d’Aix où se trouvait Napoléon afin de lui proposer de prendre sa place tandis que, sous le nom de Bouchard, le vrai Napoléon filerait sur le bateau américain qui attendait à Royan, au nez et à la barbe de la flotte anglaise qui le guettait. Vous vous dites sans doute que Napoléon a dû se demander qui était cet étrange sosie venu lui faire une proposition aussi romanesque. Et comment un tel personnage avait pu parvenir jusqu’à lui malgré la vigilance de son entourage. En réalité, il l’a accueilli chaleureusement, car il le connaissait très bien et depuis très longtemps. C’était son frère ainé, Joseph, l’ex roi d’Espagne qui avait préparé de longue date cette expédition américaine. Napoléon a refusé le stratagème parce qu’il savait que Joseph, une fois reconnu, serait vraisemblablement fusillé et il tenait, c’est méritoire, à éviter ça à son grand frère. Il est donc parti vers son destin et vers Sainte Hélène tandis que Joseph revenait à Royan s’embarquer sur le navire prévu, qui s’appelait « the Commerce ». Il a traversé l’Atlantique sans encombre, est arrivé le 28 aout aux USA et y a vécu 25 ans. Il a repris son vrai nom au bout de quelques temps, fait venir ses enfants, et l’on dit que dans sa maison à proximité de Philadelphie, sa bibliothèque était plus importante que la bibliothèque du congrès.
Cette histoire est extraordinaire, et le plus fascinant c’est qu’elle s’est passée juste ici à quelques centaines de mètres seulement peut-être. Ce qui est aussi passionnant c’est qu’elle tourne autour de l’identité des personnages, leur échange d’identité, leur fausse identité. De véritables ingrédients de feuilleton, mais pas seulement.
Il est des mots qui connaissent, comme disent les savants, des glissements sémantiques considérables. C’est ce qu’a fait notre identité. Et cette fois, cela ne date pas de deux siècles. En l’espace de quelques années, la notion d’identité est passée, doucement mais surement d’une dimension individuelle à une dimension collective.
C’était l’un des thèmes retenus, l’an dernier, lors des 17e semaines européennes de la philosophie sous le titre « Les embarras de l’identité » dont je vous cite quelques lignes d’introduction: Que des gens entrent en conflit pour des raisons qui ne relèvent pas de leurs intérêts matériels biens compris, cela n’a rien de nouveau ni d’énigmatique. En revanche, il y a bel et bien une énigme lexicale : pourquoi est-ce le mot identité qui s’est trouvé chargé de signifier l’enjeu et l’objet de tels conflits ?
Et les experts soulignaient combien cette évolution est récente. Pendant longtemps, l’identité ne soulevait pas de problèmes existentiels: nom, prénom âge et qualité, il y avait peu de chances d’échouer au bien nommé « contrôle d’identité ».
Aujourd’hui, si nous parlons d’identité, sauf quand nous répondons à un gendarme, il est plus rare que nous évoquions notre carte d’identité, notre photographie d’identité, notre signature, nos empreintes digitales voire notre numéro de Sécurité sociale. En quelques dizaines d’années, le mot en est venu à signifier tout autre chose, une appartenance, quelque chose qui se partage. Et, ne soyons pas angéliques, quelque chose qui fait bien souvent qu’on se cogne dessus.
A l’Académie de Saintonge, où les conflits sont chose rare, nous pensons que la culture, historique, littéraire ou scientifique, peut constituer le socle de la compréhension, de l’intérêt pour d’autres cultures, d’autres identités. Et il semble que cette année, nos différents lauréats aient choisi d’aborder, chacun à sa façon, ce thème là : faire mieux connaitre un patrimoine historique que nous partageons tous dans notre région quelle que soit notre identité.
L’hiver dernier, durant la réalisation de notre film Napoléon l’Américain (pour la chaîne France 3), mon coréalisateur américain Christopher Jones et moi-même, nous sommes penchés sur l’épisode que je vous racontais : les relations des frères Bonaparte, l’échange d’identités, etc.
De fil en aiguille, nous en sommes venus à évoquer l’éducation que nous avions reçue dans nos pays respectifs. J’ai découvert ainsi qu’en Californie, on passe son permis au lycée (code et conduite). Mais surtout, qu’à l’école primaire, les enfants étudient pendant deux ans, l’histoire de leur Etat.
Je me suis demandé si les écoliers du Poitou-Charentes ou de la nouvelle Aquitaine en apprenaient autant sur l’histoire de leur région que ceux de l’Illinois ou du Texas. Et dans une période de débats sur les régions, leurs frontières et leur rôle, si ce ne serait pas une suggestion à glisser dans la boite à idées des élus…