Réception de Philippe Ravon au 24e siège de l’Académie
Discours de présentation par Alain Michaud
Né en Berry, à Levet, non loin de Bourges, saintongeais et aunisien par son enfance, puis parisien et bourguignon, enfin européen dans sa profession du marché de l’art, Philippe Ravon s’est finalement enraciné à Saintes où il préside la Société des Amis des musées.
Cet enracinement tire son origine d’une arrière-grand-mère qui, par l’acquisition d’une maison à Saint- Trojan, a permis à sa famille de découvrir les charmes de l’île d’Oléron et de Rochefort. Mais son goût pour l’art, il le doit par atavisme à son arrière-grand-père, peintre du dimanche sur les bords de l’Oise et collectionneur de tableaux. Avec sa future épouse, il suit les cours de l’Ecole du Louvre et du musée des Arts décoratifs. Sa voie est désormais tracée : il fait ses débuts comme antiquaire à Saulieu, en 1978 et devient professionnel du marché de l’art. Après plusieurs années de recherche, il présente à Paris un mémoire sur les décors de trumeau à toile peinte du sud-ouest, et devient membre de la Chambre nationale des experts spécialisés en 1995, membre de la Confédération européenne des experts d’art, assesseur de la Commission de conciliation et d’expertise douanière.
Aujourd’hui, toujours en activité, il pratique les expertises pour les partages de famille, les assurances, les ventes aux enchères. Ainsi, en juillet 2016, il assure l’inventaire du très riche mobilier, objets d’art et tableaux de l’ancien château des évêques de Dax, dont témoigne un superbe catalogue, édité à cette occasion. À Saintes, il propose à la vente des toiles de peintres célèbres : Jongkind, Guillaumin, Corot, et met toujours en valeur les peintres régionaux. Les musées nationaux dépêchent régulièrement leurs émissaires pour acquérir des œuvres qui vont rejoindre le Louvre, Versailles, le musée de Sèvres, ou Orsay. Au mur de son cabinet, des œuvres sont en cours d’expertise ou d’estimation : un paysage en partie peint par Courbet et Corot, la silhouette d’un visage féminin de Manet et bien d’autres plus ou moins renommés mais toujours précieux à ses yeux.
Mais sa curiosité et son goût pour l’art le poussent également à la recherche. Il participe à plusieurs publications dans le domaine des arts décoratifs et des Beaux-Arts, entre autres Le style Regency, publié chez Phaïdon en 1992, et deux ans plus tard, l’Encyclopédie Larousse des Antiquités, ou encore Courbet, Auguin, Pradelles et la peinture de plein air dans le Sud-Ouest, édité dans La Saintonge littéraire n°72, Peintres d’Aunis et de Saintonge, en 2004, puis le Catalogue raisonné de l’œuvre peinte de Gaston Balande, (Le Croît Vif) en 2012.
Ardent défenseur des musées de province dont il a créé l’antenne régionale pour le Poitou-Charentes en l’an 2000, Philippe Ravon est d’abord, pour nous, président des Amis des musées de Saintes, association créée au XIXe siècle par l’érudit Louis Audiat sous l’impulsion de deux peintres paysagistes régionaux, Hippolyte Pradelles et Louis Augustin Auguin. Sa société apporte son appui à l’équipe des conservateurs, met ses réseaux à leur disposition, publie des ouvrages, un bulletin mensuel illustré. Ainsi, elle a participé aux actes du colloque sur Charles Dangibeaud et contribue ainsi de façon importante au rayonnement des musées de la ville.
Passionné par la peinture et par son métier, Philippe Ravon fait entendre la voix des amoureux du patrimoine aux élus et défend vaillamment la survie des musées de Saintes, dont l’un est devenu réserve.
L’autre est en sommeil et le troisième, fermé pour cause de vétusté, attend des travaux de restauration. Mais l’activité de sa société ne s’arrête pas là. Afin de développer le goût de l’art et d’élargir le public des musées, l’association et son président organisent des voyages de visite et d’études, comme à Rome ou à Venise, et un déplacement annuel à Paris, ainsi que des conférences mensuelles en liaison avec l’actualité artistique, et souvent présentées par les commissaires de grandes expositions nationales. C’est ainsi que Philippe Ravon a été à l’origine des expositions aux musées de Saintes de Courbet en Saintonge en 2007 et de Jean Geoffroy, peintre de l’enfance, en 2015, dont on connaît le succès.
C’est par cette défense tenace de l’art, de son rôle et de sa présence au sein des musées de notre région, par cette passion qu’il aime partager avec les autres, que nous avons jugé indispensables ses compétences au sein de notre Académie dont le but est de faire vivre la culture et de préserver l’identité régionale. Nul doute que Philippe saura, avec son énergie et son enthousiasme, nous aiguiller et nous guider dans ce sens.
Discours de réponse de Philippe Ravon
Madame la Directrice, Mesdames et Messieurs de l’Académie de Saintonge, Mesdames, Messieurs, chers amis,
Je remercie Alain Michaud de m’accueillir, et de le faire avec tant de talent et de sollicitude. Il est l’inlassable historien de la Saintonge, âme militante des plus importantes sociétés savantes, toujours présent lorsqu’il s’agit de soutenir une cause liée au patrimoine. Et il est l’un de ceux, comme Pascal Even, qui m’ont redonné du courage en ce domaine lors de moments de doute.
Malgré une activité professionnelle toujours intense, je n’ai pas songé à décliner l’invitation qui m’était faite de rejoindre aujourd’hui l’Académie de Saintonge. Bien au contraire, plusieurs raisons m’ont pressé de l’accepter.
La première est la qualité de ceux qui l’on composée et la composent. Je me souviens de chacun de ses membres découverts au cours de ces réunions annuelles qui réussissent le prodige de faire venir un large auditoire, dans une salle close, par un beau dimanche d’octobre. Chacun sait qu’il se produit ici quelque chose de rare : la rencontre amicale, sur l’estrade, d’une marquise et d’un patoisant, d’un aviateur et d’un archéologue, d’un polytechnicien et d’une cinéaste.
Je pense aujourd’hui à deux personnalités d’exception, celles de Jacques Badois et de Jean-Claude Dubois, qui m’ont honoré de leur amitié dès mon retour dans la région. Ils représentent pour moi l’esprit de cette Académie, fait d’une grande exigence intellectuelle au service du patrimoine culturel.
La deuxième raison est que le 24e siège est celui de François Julien-Labruyère ; celui-ci m’a encouragé à accepter en termes généreux et amicaux ; il a été soutenu en ce sens par le vote des académiciens que je remercie aujourd’hui devant vous.
Sur François, qui a été le cœur de cette Académie pendant plusieurs décennies, je ne vous apprendrais rien ; il a apporté là sa connaissance du monde, acquise au cours de sa première vie professionnelle, et l’a mise au service de la culture régionale.
Je l’ai connu par ses travaux d’histoire et de sociologie ; sa première étude sur la région À la recherche de la Saintonge maritime m’a accompagné quotidiennement, quand je suis revenu m’établir ici. Ses ouvrages ont toujours su mêler à l’érudition le plaisir de la découverte et du partage.
Un trait marquant de F. Julien-Labruyère est pour moi la confiance naturelle qu’il accorde aux autres, le crédit qu’il donne à leur parole; il en a d’ailleurs fait son métier, d’abord dans la banque, avec un ouvrage sur le crédit traduit en sept langues, puis avec les éditions du Croît vif, véritable porte-voix des hommes les plus illustres jusqu’aux plus humbles. L’incroyable richesse du catalogue de ses publications témoigne de son intérêt pour la mémoire humaine, patrimoine immatériel, matière quasi organique constitutive de l’identité locale. Nous avons travaillé ensemble à plusieurs projets, dont l’édition du catalogue raisonné de l’œuvre peint de Gaston Balande. Tous nos échanges m’inspirent amicale sympathie et très profond respect.
Il m’est difficile de parler de moi, comme cela m’a été demandé par notre présidente Marie-Dominique Montel, tant le texte d’Alain Michaud était complet ; je voudrais seulement souligner que mon lien particulier avec la région vient en partie de l’enfance et a trouvé un écho jamais éteint au contact des peintres. Ces artistes du XIXe siècle, comme Courbet, Corot, Auguin et Pradelles, sont sortis de leur atelier, et ont été profondément touchés par la nature saintongeaise ; en attestent des correspondances dans lesquelles ils décrivent le bruissement d’un feuillage ou les reflets d’un cours d’eau entrevu à La Rochecourbon.
Et il m’est impossible de ne pas évoquer ici Roger Bonniot, autre académicien, qui, le premier, a fait revivre (en 1973), les péripéties du séjour de Courbet en Saintonge. Il raconte jusque dans le détail cette période foisonnante qui a vu Saintes recueillir la manne répandue à profusion par cet artiste révolutionnaire. Tout était dans cet ouvrage, et j’ai voulu l’exposition Courbet en Saintonge, en 2007, pour rendre hommage au travail remarquable de cet homme aussi érudit que discret.
Bien que j’aie parlé de souvenirs d’enfance, il n’est pas question de nostalgie, mais de vie ; il y aura d’autres enfances, d’autres émerveillements, d’autres découvertes. Courbet et ses amis peintres se retrouvaient, à Port Berteau, dans une maison qui portait un nom qu’il est permis de trouver symbolique : la « maison du passeur ». Eh bien, c’est ainsi que je vois les membres de cette Académie, comme des passeurs d’histoires et des passeurs d’émotions. On peut croire que Nicolàs Gomez Dàvila les décrit avec justesse, lorsqu’il dit : « L’âme cultivée est celle où le vacarme des vivants n’étouffe pas la musique des morts ». Comme les enfants des soirs d’été et comme vous, académiciens, je voudrais que les noms aimés écrits dans le sable ne disparaissent pas à tout jamais.