Panorama de l’année culturelle Saintongeaise en 2016
Discours d’ouverture des Prix de l’Académie de Saintonge 2016 : Marie-Dominique Montel
Directrice de l’Académie de Saintonge
Mes chers collègues, mesdames et messieurs les élus, mesdames et messieurs les représentants des institutions culturelles et de la presse, chers amis, je suis heureuse de déclarer cette Cérémonie des prix de l’Académie de Saintonge 2016 officiellement ouverte.
C’est la première fois que cette manifestation se déroule dans le cadre de notre désormais très grande région la Nouvelle Aquitaine. Comme la vertu des académiciens est leur formidable mémoire, les plus anciens d’entre nous feront remarquer que cette nouveauté n’est pas si récente, pas si nouvelle, puisque, au XIIe siècle, du temps d’Aliénor d’Aquitaine, nous faisions déjà partie de son duché. C’est vrai mais comme ça fait un bail, il va falloir nous réhabituer. Nous allons peut-être nous sentir au large quelques temps dans ce nouvel habit. Ou avoir l’impression d’endosser un lainage de plus, de vivre un léger réaménagement de notre identité. Tiraillés entre la tentation du repli sur soi et l’appel du large, du plus-large.
L’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, membre de l’Académie française, l’explique très bien :
« Lorsqu’on me demande ce que je suis « au fin fond de moi-même », dit-il, cela suppose qu’il y a « au fin fond » de chacun, une seule appartenance qui compte, sa « vérité profonde » en quelque sorte, son « essence », déterminée une fois pour toutes à la naissance et qui ne changera plus ; comme si le reste, tout le reste -sa trajectoire d’homme libre, ses convictions acquises, ses préférences, sa sensibilité propre, ses affinités, sa vie, en somme-, ne comptait pour rien.(…) Il m’arrive de faire quelque fois ce que j’appellerais « mon examen d’identité », comme d’autres font leur examen de conscience. Mon but n’étant pas -on l’aura compris-, de retrouver en moi-même une quelconque appartenance « essentielle » dans laquelle je puisse me reconnaître, c’est l’attitude inverse que j’adopte : je fouille ma mémoire pour débusquer le plus grand nombre d’éléments de mon identité, je les assemble, je les aligne, je n’en renie aucun. (…) L’identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par pages cloisonnées. Je n’ai pas plusieurs identités, j’en ai une seule, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un « dosage » particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre. »
Amin Maalouf nous met sur la voie. Mais comme nous sommes, en Aunis ou en Saintonge, très maritimes, nous saluerons aussi comme il se doit ce joli nom de Nouvelle Aquitaine qui renoue avec une tradition bien ancrée, chez les marins que nous sommes, de baptiser de « nouveau » tous les endroits qui nous plaisent, Nouvelle France, Nouvelle Orléans, Nouvelle Calédonie, Nouvelles Hébrides ou même le Nouveau monde en général. Les homme d’Église n’agissent pas différemment lorsqu’ils ont intitulé Nouveau testament la partie de la Bible qui avait leur plus grande estime, du moins c’est la raison qui convient le mieux à ma démonstration d’aujourd’hui.
Les hommes de science préfèrent dire « Néo » (comme dans néo-aquitains), par exemple le néocortex est cette partie de notre cerveau qui nous distingue des poissons qui en sont dépourvus et des musaraignes qui n’en n’ont pas beaucoup. Matière grise ou neurones font partie de ce néocortex qui est, nous dit-on, plus récent dans l’évolution, que notre cerveau primitif d’où son nom. Mais j’ai tendance à croire que les scientifiques, involontairement peut-être, expriment également ainsi l’affection qu’ils portent à leurs propres capacités cognitives.
La Nouvelle Aquitaine est donc une région avec laquelle le vocabulaire nous tisse déjà des liens d’affection, c’est aussi une très grande région, la plus étendue de France, dans laquelle il va falloir tenir notre rang, dans tous les domaines certainement, mais ici et pour ce qui concerne votre belle Académie dans les domaines de la créativité, de la connaissance, de la découverte. Bref il va diantrement falloir faire travailler nos néocortex, néo-aquitain et toujours aussi charentais.
Le palmarès que nous allons vous présenter dans quelques instants démontre que nous avons du répondant. Ce palmarès réalise une nouvelle fois le mélange entre enracinement régional et visibilité nationale qui nous est cher. Il récompense les personnalités qui ont marqué la vie culturelle charentaise cette année par leurs travaux, leurs recherches, leurs œuvres et leur carrière et méritent de figurer parmi ces charentais remarquables que nous couronnons par un prix de l’Académie de Saintonge… Je remercie les mécènes, particuliers, associations et collectivités locales qui financent nos prix et sans qui ils n’existeraient pas.
Mais établir un palmarès qui se monte cette année à 12 prix, tout en restant d’une exigence extrême sur la qualité des travaux récompensés, cela demande beaucoup de travail et je vous demanderai une pensée pour ceux qui par leurs recherches et leurs votes ont sélectionné les lauréats, je vais vous prier d’applaudir les membres de l’Académie de Saintonge.
Vous le savez sans doute nous avons eu la tristesse cet été de perdre l’un des grands esprits de l’Académie de Saintonge et si le mot « âme » a un sens, il s‘applique à notre ami Jean Mesnard qui est sûrement allé rejoindre auprès du Bon Dieu, le philosophe Blaise Pascal dont il était le grand spécialiste.
Il admirait son cerveau de mathématicien, d’inventeur, il jubilait devant l’intelligence et les écrits de l’un des penseurs les plus brillants du siècle de Louis XIV, mort à moins de 40 ans.
Jean Mesnard était une grande figure de l’intelligentsia française. Professeur à la Sorbonne, membre, et un temps président, de l’Académie des sciences morales et politiques qui avec l’Académie française, l’Académie des sciences, l’Académie des inscriptions et belles lettres et l’Académie des beaux-arts composent l’Institut de France sous la coupole du quai Conti. Jean Mesnard était surtout, pour l’Académie de Saintonge (dont il était membre depuis 1994) un collègue d’une rare gentillesse, et d’une immense érudition. Nous perdons un grand ami.
Jean était toujours assidu à nos séances, malgré son âge car à 95 ans, il était presque notre doyen. Il portait l’habit vert pour accueillir, lors de notre cérémonie de 2012, madame Danièle Sallenave de l’Académie française puisque la règle veut que les académiciens portent leur habit que lorsqu’ils sont au moins deux lors d’une circonstance officielle. Et il ne perdait jamais une occasion de citer son appartenance à l’Académie de Saintonge, même et surtout à l’Institut. J’avais mentionné l’une de ces occasions dans mon discours d’inauguration de notre cérémonie de 2013. Je voudrais vous relire ce passage sur le thème qu’est-ce que l’Académie de Saintonge ?
« Pour notre part nous adhérons totalement à la définition (de l’Académie) qu’en donne notre collègue et ami Jean Mesnard, avec sa précision d’universitaire et de membre de l’académie des sciences morales et politiques dont il a été le président. Jean Mesnard, qui recevait, l’hiver dernier, les insignes d’officier de la légion d’honneur, a prononcé sous la coupole, devant un parterre d’académiciens et d’amis, un discours où il mentionnait son appartenance à l’Académie de Saintonge avant de définir ainsi la fonction des académies dans notre pays :
« Il ne suffit pas de dire que la science ou, plus généralement, la connaissance sont l’objectif des académies » expliquait-il, il faut encore comprendre comment. Et il précisait « en réalité, le travail académique lui-même s’opère par le dialogue, par l’échange d’informations, en somme par la communication. Enfin et surtout, la tâche des académies est moins de créer le savoir que de le juger, de le susciter et de le diffuser : ce qui est encore communiquer.
Susciter, diffuser, communiquer, dit Jean Mesnard. Dans le réseau des Académies de France, avec, au sommet l’Académie française. »
N’est-ce pas, pour nous, un merveilleux dernier message à retenir de Jean.