Panorama de l’année culturelle Saintongeaise en 2021
Discours d’ouverture des Prix de l’Académie de Saintonge 2021 : Marie-Dominique Montel
Directrice de l’Académie de Saintonge
Mes chers collègues, mesdames et messieurs les élus, mesdames et messieurs les membres des institutions culturelles et de la presse, chers amis, je suis heureuse de vous accueillir à cette Cérémonie des prix de l’Académie de Saintonge 2021. Je remercie le maire de Royan, monsieur Patrick Marengo pour son accueil et le département de Charente-Maritime pour le soutien généreux qu’il accorde à notre Académie.
Le palmarès que vous allez découvrir récompense des personnalités qui ont marqué la vie culturelle charentaise cette année. Leurs travaux, leurs recherches, leurs œuvres sont le résultat de leur passion, de leur entêtement, de leur créativité. Ils méritent de figurer parmi ces charentais remarquables que nous couronnons par un prix de l’Académie de Saintonge.
Vous allez vivre en outre un moment exceptionnel, un événement remarquable. Chers amis, vous pourrez dire « J’y étais ». En effet, nous allons remettre aujourd’hui le 500e prix de l’académie de Saintonge.
Notre Académie est née en 1957 à l’initiative de dix intellectuels et d’un mécène qui les avait couchés dans son testament, à charge pour eux de « fonder une Académie chargée de promouvoir la culture régionale en récompensant par une distribution de prix ceux ou celles qui l’auraient honorée« . Voilà quel était l’objectif de cette jeune académie. Mais ça ne s’improvise pas et son premier directeur, le Chanoine Tonnelier, décida donc d’intégrer dix autres membres qui avaient de l’expérience en la matière. Ils avaient déjà formé un jury qui décernait – ça tombait à pic – un prix intitulé le Prix de Saintonge. Comme ils venaient de La Rochelle, de Rochefort et de Cognac, ils apportèrent aussi un renfort géographique au premier groupe composé de Saintais. L’Académie ajustait son périmètre sur celui de la Saintonge du Moyen-Âge (quand l’Aunis n’existait pas encore) et confirmait sa vocation de grand jury culturel du Pays Charentais.
Au fil du temps, le nombre des prix a augmenté grâce à la générosité de nouveaux mécènes publics et privés, que je vous demanderai d’applaudir. Nous avons primé des scientifiques, des artistes, fait la part belle à la littérature, aux ouvrages d’histoire et d’érudition et à notre patrimoine architectural. Mais établir un palmarès qui se monte maintenant à quinze prix, tout en restant d’une exigence extrême sur la qualité des travaux récompensés, cela demande du travail. Je vous propose d’applaudir également ceux qui par leurs recherches et leurs votes sélectionnent les lauréats : les membres de l’Académie de Saintonge.
Tout a commencé avec un ou deux prix les premières années, puis cinq puis dix. Et, en 65 ans, nous avons donc couronné 500 lauréats, ce qui, vous l’avouerez, n’est pas négligeable si l’on considère que c’est un instrument de mesure de la vitalité de notre culture.
La culture est toujours associée à de jolis verbes, on la partage, on la transmet, elle rassemble. Le rôle de l’académie de Saintonge s’inscrit dans cet esprit, dans cette dynamique de transmission. Quand nos ancêtres ont inventé le langage pour mieux communiquer, ils ont très vite inventé la poésie pour mémoriser et transmettre ce qui leur semblait le plus beau, le plus mystérieux, le plus important. Et puis ils ont inventé l’écriture, dans le même objectif en somme : transmettre plus loin dans l’espace et dans le temps. L’évolution de la pensée en a profité. La découverte de l’imprimerie a permis d’en multiplier les bénéficiaires et a engendré les cascades de transformations philosophiques, techniques, politiques, mentales qui ont formé les quelques dizaines de générations qui nous ont précédés.
Bien sûr, on en perd au passage, il y a des modes et des oublis dans toutes les transmissions. L’Odyssée ou la Bible ont évolué de chanteur en chanteur, de récitant en récitant, avant d’être fixées par l’écriture. Malgré l’imprimerie on a un peu perdu de vue la philosophie scholastique du XIIIe siècle qui avait pourtant de grandes qualités, mais l’écriture et l’imprimerie nous ont transmis le plus beau, le plus important, le plus mystérieux.
Ainsi notre collègue Bernard Mounier a retrouvé dans les Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis (1878, tome V, p.281) que le mercredi 25 juin 1616, fut un merveilleux prodige en l’air à Talmont : c’est qu’un dragon d’une grandeur extrême se combattait furieusement avec un serpent de la longueur de 3 piques, gros à l’avenant ; et au-dessus d’eux était une nuée épaisse et obscure dont sortait une fumée comme d’une fournaise. Puis le dragon et le serpent remontèrent en l’air comme de furieux météores, et après s’être encore combattus, ils tombèrent tous deux dans la mer, avec une telle impétuosité qu’il sembla que ce fut une montagne qui tombait dans la mer, dont l’eau rejaillit fort haut en l’air et bouillonna longtemps.
À l’époque, voir un dragon n’est pas une expérience courante, mais elle ne sort pas non plus de la sphère du possible. L’auteur du récit n’est pas un farfelu ni un plaisantin, Son « profil professionnel » est plutôt celui d’un gestionnaire, d’un intellectuel. Il ne rapporte pas des fadaises. Il récolte et met en ordre des informations pour en faire un récit cohérent qui donne une identité à une communauté. La notre. Il peut parler de dragons. Ça ne fait pas de lui un original : les dragons ont leur place dans son rapport parce qu’ils ont une place dans les cadres sociaux de son temps.
Comme aujourd’hui, on donne des prénoms aux tempêtes !
Jadis, la fée Mélusine, ulcérée d’avoir été surprise dans son bain avec sa queue de poisson, envoya les vagues de la mer dévorer sillon après sillon le littoral et les terres de son mari trop curieux. En 2021, le réchauffement climatique et la montée de l’océan ne punissent plus les maris curieux mais les humains inconséquents. Ce sont nos dragons et nos fées ; ils ont leur place dans notre univers, ils ont leur place dans les cadres sociaux de notre époque.
Les cadres changent. Le chanoine Tonnelier a fondé cette académie. Pourtant même ici, combien vérifieront ce soir sur Wikipédia ce qu’est un chanoine, un terme et une fonction quelque peu sortis de nos cadres sociaux. Alors qu’Internet y a fait une entrée fracassante comme outil de transmission.
Je vous ai parlé de dragons ; j’aimerais pour Internet évoquer le chat et un texte de l’écrivain Jacques Sternberg consacré à cet animal :
« Au commencement Dieu créa le chat. Et bien entendu, il trouva que c’était bien. Et c’était bien d’ailleurs. Mais le chat était paresseux. Il ne voulait rien faire. Alors Dieu créa l’homme. Au chat, il avait donné l’indolence et la lucidité ; à l’homme, il donna la névrose, le don du bricolage et la passion du travail. L’homme s’en donna à cœur joie, au cours des siècles il inventa des millions d’objets inutiles, généralement absurdes, tout cela pour produire parallèlement les quelques objets indispensables au bien-être du chat : le radiateur, le coussin, le bol, le plat à sciure, la moquette et le pêcheur breton ou charentais. »
Espérons qu’il en ira de même pour Internet. Que dans le flot d’informations inutiles ou absurdes, il y aura aussi des inventions, des créations, des découvertes ou des redécouvertes que nous considérerons demain comme indispensables et infiniment précieuses.
Parce que transmettre c’est ce qu’on peut faire de mieux pour notre culture à la fois si fragile et si solide. Transmettre dans les musées, les salles de spectacle, dans les livres, sur les écrans, ou dans le fond, cérémonieusement, ici.
Mesdames et messieurs, dangereuses fées ou gentils dragons, soyez les bienvenus à cette 65e édition des prix de l’Académie de Saintonge.