X. Les dix glorieuses de Jean Glénisson
Le 17 février 1982, Jean Glénisson devient directeur de l’Académie. Le savant chartiste, passionné d’identité régionale, succède à l’homme du monde. Il va donner à l’Académie une impulsion que jamais auparavant elle n’avait connue. Renforçant ses assises, accentuant son rôle de jury par une constante volonté d’exigence et situant son image et sa notoriété au plus haut grâce à des parrainages culturels de prestige, il apparaît comme le grand directeur de l’histoire de l’Académie.
Lors de son discours de réception du 29 août 1976, à la façon de l’archiviste Saniette que Swann admirait tant, avec « dans la. bouche […] une bouillie qui était adorable parce qu’on sentait qu’elle trahissait […] une qualité de l’âme », il avait fortement marqué son auditoire par l’évocation à la fois innocente et malicieuse de Caius Julius Macer, ce soldat santon parti commander une aile de cavalerie dans ce qui est aujourd’hui la Hongrie, qu’il considère comme l’ancêtre de la diaspora administrative charentaise et qui est à ses yeux le symbole de l’attachement déchiré des « exilés » à leur petite patrie. Sa participation aux travaux de l’Académie, disait-il alors, serait vouée à exprimer son retour au pays, comme Macer l’avait fait en prévoyant son mausolée saintais. Ce sentiment fort d’un devoir vis-à-vis de la Saintonge animera en effet sa longue direction et sera ressenti par tous.
L’une de ses premières préoccupations est de renouveler le bureau de l’Académie : avec Louis Maurin comme directeur-adjoint vite remplacé par Roger Bonniot, Claude Pajany comme secrétaire et Pauline Reverchon comme trésorière, c’est chose faite dès 1983. Il souhaite ensuite rajeunir la compagnie pour lui assurer une vitalité plus soutenue. L’idée lui est soufflée par Roger Bonniot, le constant innovateur de l’Académie : encore une fois, il suggère d’augmenter le nombre des académiciens, en passant de vingt-deux à vingt-cinq sièges, tout en élisant un vivier de « jeunes » et de personnalités attachées à la région. Une liste de noms est établie et le 4 février 1984, sont élus cinq académiciens. Deux d’entre eux remplacent des collègues disparus: Jacques Duguet au 15e siège succède à Pierre Martin-Civat et Jean Prasteau au 19e siège à Pierre Fort ; trois autres, en revanche, inaugurent un nouveau siège : Jean Flouret, François Julien-Labruyère et Jean Favier.
Ce souci de renforcer l’Académie par des personnalités d’origine diversifiée reste constant tout au long de sa direction. Jehan de Latour de Geay en 1985, Jean Duché en 1986, Madeleine Chapsal en 1987, ou encore Rémy Tessonneau et Christian Genet en 1989, toutes recrues de l’ère Glénisson, illustrent bien le propos : leurs horizons géographiques ou intellectuels sont variés ; ils possèdent tous, en revanche, le point commun, comme Macer, de s’être illustrés en dehors de leur région et de vouloir désormais s’y retrouver .
L’influence de Jean Glénisson se manifeste également dans l’exigence quasi scientifique qu’il imprime au choix des prix. Avec lui, les thèses universitaires se substituent volontiers aux travaux plus modestes des chercheurs locaux et le palmarès de l’Académie gagne un caractère sérieux qu’il n’avait pas toujours aussi fortement observé. Des années comme 1985, 1986 ou 1988 sont caractéristiques de cet élan donné vers plus de rigueur. Sans toutefois tomber dans l’oeillère des mandarins… Le prouverait entre autres le palmarès de cette année inspirée que fut 1985 : deux thèses, celles de Debord et de Luc, un livre pédagogique, deux témoignages, dont celui, très savoureux, du cheminot saintais Péroche et les fameux portraits d’écrivains de Madeleine Chapsal font montre d’un bel éclectisme offrant un éventail allant de la gravité historique à l’émotion des souvenirs . Il convient d’ajouter que c’est dans cet esprit de qualité que l’Académie prend alors l’habitude de décerner des prix pour « l’ensemble d’une œuvre ».
Un volet tout aussi notable de l’action de Jean Glénisson reste sa façon si particulière de dresser le panorama de la culture régionale lors des séances publiques annuelles. L’idée n’est pas de lui ; elle date même des premiers pas de l’Académie et ses prédécesseurs s’y sont tous livrés avec leur talent personnel, un Tonnellier n’hésitant pas à manier la sévérité, un Chasseloup-Laubat préférant le beau panache des « musées imaginaires », Odette Comandon faisant les délices de la salle avec un grand sens de la plaisanterie, Pierre-Henri Simon la sublimant en philosophe du temps présent et le général Mesnard la charmant en n’oubliant jamais le compliment. Jean Glénisson, lui, remet toujours en perspective le panorama qu’il déroule devant son public, à la fois au plan des recherches scientifiques les plus actuelles et à celui des significations en termes d’identité régionale. L’idée de Saintonge en ressort grandie, comme rassurée d’elle-même au contact de l’esprit du large.
Cependant, c’est avec le projet de donner à certaines manifestations culturelles le « label » de l’Académie, qu’il transforme ainsi en marraine, que Jean Glénisson la porte au plus haut. Dès 1983, il propose de lancer une actualisation de la « biographie saintongeaise ». Longtemps à l’état de spéculation, le projet prend corps avec un ouvrage consacré aux Grands Charentais, rédigé par les académiciens de Saintonge, associés à ceux de La Rochelle et d’Angoumois, et placé sous le patronage des trois académies charentaises.
Mais c’est en parrainant l’organisation d’expositions que Jean Glénisson donne à la compagnie un lustre singulier. En 1985, pour célébrer le troisième centenaire de la révocation de l’édit de Nantes, il sait fédérer des énergies et des budgets au nom de l’Académie de Saintonge et de l’Université francophone d’été Saintonge-Québec, autour d’un projet centré sur le huguenot par excellence qu’était le Saintongeais Agrippa d’Aubigné. Le jour de l’inauguration, le président de la République, François Mitterrand, coupe le cordon et visite longuement l’exposition, impressionné par la qualité des objets et documents présentés, ainsi que par leurs commentaires, mais surtout par une tapisserie du musée d’Écouen représentant la bataille de Jarnac, que lui, l’enfant de Jarnac, ne connaissait pas. Ce succès, outre qu’il rehausse la réputation de l’Académie, lui assure quelques années d’aisance matérielle, grâce au surplus de budgets publics qu’il généra …