XIII. L’été finit sous les tilleuls…

Cinquante années sont à la fois beaucoup et bien peu dans la vie d’une académie, si celle-ci, comme c’est le cas de l’Académie de Saintonge, se veut garante d’une culture et d’une identité.

I1 n’est nullement facile de s’ériger soi-même examinateur. Il convient avant tout de justifier aux yeux de tous le titre même d’académie. Pour cela, crédibilité et rigueur… La crédibilité se gagne à la fois par la qualité et la diversité d’horizon des académiciens eux-mêmes, et par la pondération de leurs choix en matière de prix. Sur un total de soixante-quinze membres depuis l’origine, il est clair que tous les académiciens ont largement produit des œuvres de l’esprit avant et après leur élection. La plupart relèvent du domaine régional, mais le profil de nombreux académiciens dépasse le strict cadre charentais, soit du fait de leur profession, soit en vertu de leur œuvre. Les exemples en sont nombreux; il suffit de citer les noms de René Guillot, Pierre-Henri Simon, Maurice Rat, Thomas Narcejac, Jean Glénisson, Jean Duché, Rémy Tessonneau, Madeleine Chapsal, Violaine Massenet, Jean Favier ou Jean Mesnard… Tous ont acquis une notoriété nationale ou internationale grâce à leurs travaux.

En second lieu, leurs spécialités sont suffisamment diverses pour valoir brevet d’ouverture d’esprit : un gros tiers d’entre eux sont des historiens ou archéologues, un quart des écrivains au sens le plus large et un cinquième des artistes ou des esthètes. Cette confrontation d’opinions et de regards aussi complémentaires explique en grande partie la justesse de leurs sélections pour les prix qu’ils distribuent, justesse qui ne s’analyse qu’avec le temps, une fois passés les effets de mode ou de « sollicitation », comme l’expriment très clairement les statuts de l’Académie pour évidemment s’en méfier. Si on étudie avec recul la liste des ouvrages primés par l’Académie, on reste frappé par le fait qu’il s’agit dans leur grande majorité d’œuvres marquantes ou à tout le moins qui demeurent dans la mémoire régionale, surtout après le tournant imposé par Jean Glénisson. Sur un total de 278 distinctions décernées en cinquante années d’activité, on peut affirmer qu’une dizaine au plus se verraient écartées aujourd’hui. Quant aux « oublis » qu’aurait eus l’Académie durant ces cinquante années, on a beau rechercher dans les bibliographies ou dans les souvenirs culturels de la région, on n’en trouve pas, parce que lorsqu’un millésime se révèle particulièrement riche, l’Académie n’hésite pas à jumeler une distinction ou à augmenter le nombre de ses prix, quitte d’ailleurs à ne pas en donner lorsque son choix bute sur la qualité.

Ces coutumes, plus que ces règles, datent toutes de la direction de François de Chasseloup-Laubat. C’est lui qui a établi un système rigoureux d’octroi des prix qui, peu ou prou, demeure. Le choix des prix est souvent étudié par une commission et, en tout cas, jamais retenu en première proposition lors d’une séance privée. De même, jamais une œuvre n’est sélectionnée si un académicien y a personnellement participé, à l’exclusion des préfaces. En revanche, il est arrivé une fois qu’un académicien régulièrement élu soit primé pour l’ensemble de son œuvre : cette entorse apparente concerne le journaliste Rémi Avit, élu le 11 janvier 1970 et récompensé le 24 juillet de la même année par le prix de Saintonge. En fait, le choix avait déjà été décidé pour 1969, puis ajourné en raison d’une trésorerie au plus bas étiage ! L’ensemble des procédures que l’Académie s’impose pour les élections et l’établissement de son palmarès, peut paraître lourd, ou pire, désuet ; il est une garantie de sérieux et une preuve de responsabilité devant la région.

Du temps de Chasseloup-Laubat, un dépôt préalable des œuvres était exigé, ainsi qu’une demande en bonne et due forme de leurs auteurs. Cette approche risquant de limiter la liberté de choix, Pierre-Henri Simon proposa de l’abolir, ce qui fut fait le 9 août 1966 à l’occasion du prix de Saintonge décerné à Kléber Haedens pour son très beau roman seudrais dont le titre, à lui seul, pourrait exprimer ces séances publiques où l’Académie tout entière se pare pour célébrer sa région : L’Été finit sous les tilleuls…

Un peu comme les anciennes vestales, le rôle de l’Académie de Saintonge est de signaler, et ce faisant d’œuvrer pour la vitalité de la culture charentaise. Depuis l’époque de ces discussions sur la vocation et le « territoire » de l’Académie, menées sous la direction de François de Chasseloup-Laubat et reprises par Roger Bonniot, et devant la pratique continue de la compagnie en matière de recrutement de ses membres et de distribution de ses prix, on est aujourd’hui conduit à considérer la Saintonge, non plus comme l’ancienne province de Saintes, mais comme un concept nouveau dont cinquante années d’Académie auront été la matrice : de la même façon que le saintongeais est, avec le temps, devenu la langue des Charentais, la Saintonge est en train de devenir leur espace culturel, leur signe préféré de reconnaissance, leur symbole d’attachement

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