Panorama de l’année culturelle Saintongeaise en 2014
Discours d’ouverture de Marie-Dominique Montel, directrice de l’Académie de Saintonge
Mes chers collègues, mesdames et messieurs les élus, mesdames et messieurs les représentants des institutions culturelles et de la presse, chers amis, je suis heureuse de déclarer cette Cérémonie des prix de l’Académie de Saintonge 2014 officiellement ouverte. Le palmarès que nous allons vous présenter dans quelques instants récompense les personnalités qui ont marqué la vie culturelle charentaise cette année. Leurs travaux, leurs recherches, leurs ouvres et leur carrière sont le résultat de leur passion, de leur entêtement, de leur créativité et ils méritent de figurer parmi ces charentais remarquables que nous couronnons par un prix de l’Académie de Saintonge …. Par sa composition, ce palmarès 2014 reflète bien l’évolution de nos prix depuis 7 ans. Je prends ces sept années comme référence non pas parce que ce serait plus pertinent comme échantillon statistique, mais parce que cela fait 7 ans que je dirige l’Académie et donc que j’ai pu réfléchir de très près à la question. Comme le disait Marilyn Monroe, avec laquelle on me compare trop rarement, 7 ans de réflexion…
En sept ans, donc, nous avons couronné 115 lauréats, Le nombre de prix décernés chaque année a pu augmenter grâce à la générosité de nouveaux mécènes, tandis que les anciens restaient fidèles au poste et continuaient de nous accompagner. Nous avons pu ainsi primer plus régulièrement des scientifiques, des cinéastes ou des musiciens, tout en continuant à récompenser des ouvrages d’histoire et d’érudition et en accordant une belle part à la littérature et à notre patrimoine, qu’il soit architectural ou artisanal . Mais établir un palmarès qui se monte maintenant à 15 prix, tout en restant d’une exigence extrême sur la qualité des travaux récompensés, cela demande beaucoup de travail et je vous demanderai d’y penser lorsque vous applaudirez ceux qui par leurs recherches et leurs votes ont sélectionné les lauréats, je vais vous demander d’applaudir les membres de l’Académie de Saintonge.
Je tiens aussi à remercier particulièrement monsieur le maire de Royan, monsieur Didier Quentin, pour son accueil et son soutien à la vie de notre Académie; et souligner qu’il est depuis toujours un fidèle de nos réunions publiques. Je remercie également Le Conseil régional Poitou-Charentes, représenté ici par madame Joly, le conseil général de Charente-Maritime et la ville de Saintes qui imprime la brochure que vous avez entre les mains.
Je voudrais également vous parler de… Napoléon, puisque nous vivons dans une époque passionnée d’anniversaires et de commémorations. Il y aura bientôt 200 ans, en juin 1815, Napoléon perdait, à un cheveu près, la bataille de Waterloo. Un mois plus tard au large de l’île d’Aix, il s’embarquait sur le Bellérophon et pour l’exil de Sainte Hélène. Je voudrais vous parler de ce mois-là mi-juin/ mi- juillet 1815 parce que c’est une histoire peu connue doublement passionnante et doublement charentaise. Le Château de la Malmaison et la Maison de l’Empereur à l’Ile d’Aix organisent l’année prochaine deux expositions conjointes sur ce thème et l’Académie Saintonge est associée à cette entreprise. C’est en effet un lauréat de l’Académie, Christophe Pincemaille (prix du Patrimoine 2010), conservateur à la Malmaison qui est le commissaire général de l’exposition, c’est un membre de l’Académie, notre collègue Pascal Even, conservateur général des Archives du Quai d’Orsay qui supervise les recherches sur l’aspect diplomatique de cette période et enfin, j’aurai le plaisir et l’honneur de réaliser, avec mon collègue américain Christopher Jones, le film qui servira de fil conducteur à l’exposition et sera présenté sur la chaine France 3.
Je vous disais que c’est une histoire charentaise parce qu’elle s’achève dans notre département. Après Waterloo, Napoléon rentre à Paris, où il abdique, passe quelques jours à la Malmaison et puis -avec une suite de 60 personnes tout de même- traverse le pays, prend la route de Rochefort, en passant par Rambouillet Tours, Niort. Il reste une semaine à Rochefort et puis il part pour l’Ile d’Aix où il écrira sa reddition aux anglais dans la chambre de la maison qu’il avait fait bâtir quelques années plus tôt. Grace au baron Gourgaud, depuis 1930 cette maison est devenue un musée national qui retrace les dernières journées de Napoléon sur le sol français.
L’histoire vous est connue. Elle est tellement connue qu’on en oublie en général de se poser la vraie question. Que venait-il donc faire sur les côtes charentaises ? A moins d’imaginer qu’il n’était venu par ici qu’avec l’intention d’attraper une correspondance pour Sainte Hélène, il faut bien se demander quelles étaient ses motivations. En réalité, après Waterloo, il est abattu désemparé, surement. Mais entre ces épisodes (dépressifs dirait-on aujourd’hui), ressurgissent certains traits de caractère du jeune Bonaparte. Le goût de l’aventure, des sciences. Après tout il n’a que 45 ans!
Napoléon vient à Rochefort afin de s’embarquer pour les Etats-Unis. Il a l’intention de devenir explorateur, et très précisément explorateur scientifique. On en sait plus aujourd’hui sur ce rêve américain qu’il a failli réaliser. Qu’il a, en tous cas, minutieusement préparé jusque dans les détails. Il va même s’abonner à tous les journaux parisiens en demandant de les lui adresser poste restante à New York. Il charge banquier Lafitte de faire transférer son argent outre -Atlantique. Il est de retour à la Malmaison. Joséphine est morte quelques mois plus tôt mais on a rouvert la maison pour lui. Il cherche parmi les savants celui qui pourrait l’accompagner: le vieux Monge qui se propose ou alors le jeune Arago. Il prévoit des campagnes d’exploration. Il fait préparer des malles d’instruments, de cartes, de vêtements adaptés et de livres (qui l’accompagneront inutilement à Sainte-Hélène). Il lit jour et nuit les récits du grand explorateur Humboldt qui a exploré l’Amérique du sud quelques années plus tôt.
Et cette histoire, est doublement charentaise je vous le disais, parce que c’est là qu’elle se rattache encore à notre département. Napoléon connait un peu Alexandre von Humboldt. En revanche, il connait bien, car il l’a embauché comme botaniste en chef de Joséphine, l’associé de Humboldt, son compagnon de voyage et d’exploration, un garçon natif de La Rochelle qui s’appelle Aimé Bonpland. Bonpland et Humboldt se rencontrent à Paris, à l’âge de 25 ans, ils décident de partir explorer l’Egypte et (en résumé) comme ils ne trouvent pas de bateau pour l’Egypte, ils partent pour le Venezuela et, de là parcourent l’Amérique du sud de long en large pendant des années avant de rejoindre l’Amérique du nord. Humboldt s’intéresse à la géographie physique, aux mesures, aux fleuves, aux courants (dont le courant de Humboldt qui porte son nom). Bonpland se consacre aux espèces végétales et ramènera 60.000 exemplaires inconnus dont une jolie fleur de nos jardins, le fuchsia.
Bonpland est un personnage avenant et bon vivant. A part les fleurs, il aime les dames qui le lui rendent bien ce qui lui fait perdre pas mal de temps dans la rédaction de ses récits de voyage. Humboldt est un jeune baron allemand, enthousiaste mais plus sérieux ou qui n’a pas les mêmes gouts, les historiens sont partagés sur la question. En tous cas, il rédige bien davantage. Ils ont tous les deux beaucoup de succès à leur retour en 1804 quand ils commencent à publier leurs descriptions scientifiques. Et Napoléon qui a fait construire pour Joséphine à la Malmaison les plus grandes serres d’Europe pour acclimater les plantes exotiques et un jardin magnifique ne tarde pas à engager Bonpland comme botaniste en chef. Pour l’impératrice, il acclimate des plantes qui ne poussaient pas chez nous comme des fuchsias, bien sur, mais aussi des orchidées, des hortensias, des eucalyptus.
Au moment pour Napoléon de s’imaginer une nouvelle vie, après sa défaite de 1815, les voyages de Humboldt et Bonpland deviennent son inspiration. Finalement, il ne partira pas en Amérique. Son frère Joseph qui devait être du voyage fera seul la traversée et vivra 25 ans aux Etats-Unis. Bonpland, lui, est reparti mourir en Argentine. Celui qui réalisera au plus près le rêve de Napoléon et deviendra un explorateur scientifique du nouveau monde, c’est son neveu Charles-Lucien Bonaparte, fils de son frère Lucien, ornithologue de renom, qui dans les années 1820-1830 fera des descriptions magnifiques des oiseaux d’Amérique.
Il nous reste la grande histoire et… les fuchsias. Si vous en avez dans votre jardin, la prochaine fois que vous le regarderez, j’espère qu’ils vous feront penser au rêve américain de Napoléon et au charentais Aimé Bonpland.