Roland Fauconnier pour l’édition des Lettres à Madeleine (Stock, 1998), lettres d’Henri Fauconnier à sa femme durant la guerre de 1914-1918, et de façon plus générale pour son action en faveur de la notoriété de l’école de Barbezieux
Rapport de Jean Mesnard
En couronnant Roland Fauconnier, l’Académie de Saintonge a voulu d’abord célébrer l’héritier actif d’une tradition familiale qu’il s’est appliqué avec beaucoup de bonheur à faire vivre et durer. Une tradition étroitement associée à la ville de Barbezieux, où la maison de Musset, tantôt résidence, tantôt port d’attache, a été fidèlement conservée par les Fauconnier depuis plus d’un siècle. Témoignage d’un patriotisme provincial qui n’a jamais cessé de s’affirmer, en dépit de carrières qui se sont pour beaucoup déroulées à Paris, et surtout dans le vaste monde. C’est à Barbezieux aussi que se sont forgées des alliances et des amitiés qui ont contribué à faire de la cité charentaise une petite capitale culturelle, rayonnant dans la vie littéraire nationale, grâce aux Fauconnier eux-mêmes, mais aussi aux Delamain, aux Boutelleau, entre lesquels, comme on sait, Jacques Chardonne. Roland Fauconnier a mis beaucoup de piété et de passion à entretenir la mémoire de ce passé encore proche, en conservant, en classant, en faisant connaître le trésor des archives de sa famille. À travers son oeuvre, le pays charentais peut mieux comprendre tout ce qu’il doit à quelques-uns de ses proches : à son père Henri, parti au moins courir l’aventure comme planteur de caoutchouc, et qui tira de son expérience la substance d’un roman profondément original, Malaisie, prix Goncourt 1930, édité comme il se devait chez Delamain et Boutelleau ; sa tante Geneviève, prix Femina 1933 pour son roman Claude, publié chez les mêmes éditeurs ; son beau-frère François Fontaine, autre enfant de Barbezieux, ardent collaborateur de Jean Monnet – nous ne quittons pas les Charentes – dans l’entreprise de construction de l’Europe, et historien de talent. Un moment exceptionnel, une sorte de sommet a été atteint dans cette passionnante révélation du passé lorsque, l’automne dernier, Roland Fauconnier a publié aux éditions Stock – nous sommes toujours chez Delamain et Boutelleau – une collection d’écrits de son père pourvue d’une forte unité, les Lettres à Madeleine 1914-1919. Ces lettres de guerre adressées par Henri Fauconnier à sa fiancée Madeleine Meslier, qui devint en 1917 sa femme, sont entrées dans notre actualité du fait de leur publication récente, et surtout parce qu’elles n’ont absolument pas vieilli.
On peut dire qu’elles appartiennent à notre patrimoine, charentais, français, humain, par l’image sans pareille qu’elles offrent de la Grande Guerre : c’est beaucoup plus qu’un document, encore que les choses vues, et qui ont été rarement aussi bien vues, y abondent ; c’est l’écho de la guerre dans une conscience lucide et droite. L’écrivain ne dissimule ni les horreurs, ni les sottises, ni les simples misères dont il est témoin, mais il les tient à distance par l’humour, et il garde assez de patriotisme, d’humanisme, d’optimisme, nourris par la pensée de la femme aimée, pour manifester, en toute sobriété, sans aucune grandiloquence ni aucune prétention à philosopher, une sorte de confiance, de foi profondes. La valeur littéraire tient beaucoup à la qualité de l’homme.
Il y a donc lieu d’exprimer aussi notre vive reconnaissance envers celui grâce auquel cette oeuvre existe pour nous, c’est-à-dire Roland Fauconnier. Ses propres écrits traduisent la richesse d’une expérience du monde acquise principalement au Brésil. Le prix Madeleine La Bruyère couronnera principalement le rôle qu’il s’attache depuis longtemps à jouer, avec précision, sensibilité, ferveur, d’explorateur et de témoin d’une tradition familiale exemplaire.