Réception de Jacques Dassié

(Croyez bien, cher Jacques Dassié, que nous n’avons pas tiré notre flamberge au clair, c’est toujours un plaisir que de vous écouter… Louis Maurin dont on sait l’attachement à tout ce qui touche à l’archéologie a souhaité absolument vous accueillir en nos rangs ; malheureusement pour nous, il consacre toujours ses fins septembre à son grand chantier de fouilles romaines en Tunisie et regrette beaucoup de n’être pas aujourd’hui parmi nous. Il s’en excuse, tout particulièrement auprès de vous, et m’a chargé de vous lire ce qu’il aurait aimé vous dire. François Julien-Labruyère.)

Charentais pur sang, vous êtes né à Angoulême, en 1928, et vous y avez fait vos premières études, au collège Saint-Joseph, puis au gré des événements, notamment la guerre, à Metz, dans les Landes et à Paris. Après vos obligations militaires effectuées dans l’Armée de l’air, en 1951, vous êtes admis à l’École supérieure des transmissions de Pontoise et vous commencez en 1953 une carrière d’ingénieur au sein du groupe Thomson, carrière qui évoluera de 1970 à 1985 en celle de responsable des affaires internationales.

Breveté pilote en 1949, à Versailles, ce qui fait que vous venez de fêter cette année votre jubilé de pilotage, vous y fondez en 1965 un Centre de préparation à la radio-navigation. Puis ce fut pour vous une phase de voyages et la participation, dans les années 1960-1970, à de nombreux rallyes aériens internationaux, toujours aux places d’honneur. Votre métier vous appelant fréquemment à l’étranger, vous volez aussi bien à Kinshasa qu’à Colomb-Béchar, au Zimbabwé ou au Brésil… Mais c’est pendant vos vacances que vous prenez un plaisir renforcé à voler, à partir du terrain de Pons-Avy où vous accueille l’Aéro-club de Pons, le plus proche de Gémozac, pays natal de votre épouse, également pure charentaise.

Pourquoi ce plaisir renforcé ? Parce qu’en plus de l’avion, vous vous mettez à la photographie aérienne, intrigué que vous êtes par des formes géométriques, repérées parfois dans la campagne saintongeaise. En bon curieux, vous les photographiez ; en bon collectionneur, vous les enregistrez ; en bon ingénieur vous leur recherchez une explication rationnelle. Et en 1962, au-dessus de Semussac, vous photographiez votre première nécropole protohistorique.

C’était le début d’une très grande aventure… Cherchant à approfondir la question, vous mettez progressivement au point une méthodologie de la prospection archéologique aérienne, puis vous participez à partir de 1971 au séminaire du professeur Chevallier, à la fameuse École des hautes études en sciences sociales, d’où vous sortez diplômé en 1975. Deux ans plus tard, vous soutenez votre thèse de doctorat à la faculté de Tours et la publiez sous le titre de Manuel d’archéologie aérienne, un ouvrage de base, multidisciplinaire et sans équivalent à ce jour.
Depuis vous n’avez pas cessé vos prospections. Et votre spécialité est devenue une belle histoire d’amour attestée par 2 000 heures de vol et 400 000 kilomètres, dix fois le tour de la terre, en labourant le ciel des Charentes. En cinquante ans d’aviation, vous avez survolé plus de 800 fois le Poitou-Charentes, augmentant sans cesse votre collecte de nouveaux témoignages sur notre patrimoine archéologique régional. Il en résulte un capital de plus de 100 000 images reliant notre région à son passé, mais aussi vous-même à votre région.

Devant l’accroissement de vos découvertes archéologiques, vous décidez de créer une banque de données informatiques : la « Banque archéologique Poitou-Charentes », reconnue par la direction régionale des Affaires culturelles et les services régionaux de l’Archéologie. Elle s’est, depuis, ouverte aux sociétés archéologiques ainsi qu’aux prospecteurs indépendants, établissant ainsi un climat de très large collaboration au niveau de notre inventaire régional. En 1998, vous créez sur internet le premier site didactique d’archéologie aérienne, illustré par vos résultats obtenus en Poitou-Charentes et complété par une large présentation touristique. Ce site, dont une version en anglais a été implantée aux États-Unis, est relayé par Radio-France et le ministère de la Culture, ainsi que par quelques universités américaines, dont les prestigieuses Kansas et South-Carolina. Il est aujourd’hui un des sites internet les plus visités de la région.

Il existe une sorte de poésie et de philosophie rassurantes dans la relation de ce site virtuel avec tous les sites réels que vous avez découverts. Car ils sont innombrables, ces sites archéologiques qui ponctuent votre cheminement. Ils ont ouvert la possibilité de grandes fouilles, réalisées par l’Université ou le CNRS. La région vous doit une meilleure connaissance du néolithique saintongeais, des nécropoles de la protohistoire aussi bien que celle des voies antiques, des villes gallo-romaines ou de grandes constructions médiévales. Pour illustrer le propos, il suffit de citer deux vastes chantiers de fouilles actuels qui sont en train de renouveler notre vision de la Santonie : le camp romain d’Aulnay et surtout la ville portuaire du Fâ de Barzan.

De grandes expositions, une centaine de titres en bibliographie, quasi autant de conférences, donnent bien l’idée de votre réussite dans la prospection archéologique aérienne et symbolisent parfaitement les liens que vous avez su créer, du ciel, avec les sous-sols de la région. L’Académie de Saintonge est fière d’accueillir en son sein quelqu’un qui a autant apporté d’angles de vue nouveaux au pays charentais.

(Puis-je ajouter, cher Jacques Dassié, que vous êtes le premier ingénieur reçu par notre compagnie, et que nous espérons bien que vous saurez tempérer et relativiser les côtés quelquefois trop littéraires qu’une académie de notre type veut être amenée à développer. François Julien-Labruyère)

Hommage à Thomas Narcejac par Jacques Dassié

Monsieur le Directeur, Mesdames, Messieurs , chers CollèguesTout d’abord, je tiens à exprimer ma gratitude aux membres de l’Académie de Saintonge. L’attribution du Grand Prix, en 1997, fut un encouragement pour mes travaux. Aujourd’hui, en m’accueillant au sein de cette assemblée, c’est une consécration de leur choix initial qui me va droit au cœur. Mes remerciements vont également à Madame Renée Narcejac pour l’aide précieuse qu’elle a bien voulu m’apporter .

Dans les traditions de l’Académie de Saintonge, la notion de fauteuil revêt une certaine importance car il convient d’avoir un siège attribué pour participer aux délibérations. Notre Directeur m’a informé que j’occuperais le quatrième, celui de Thomas Narcejac, du couple Boileau-Narcejac, les célèbres auteurs de romans policiers. Thomas Narcejac fut membre de l’Académie de Saintonge de 1969 à 1998 et c’est donc à lui que je rendrais hommage.

Thomas Narcejac était d’origine rochefortaise, né en 1908, à quelques maisons de celle de Camille Gabet. Les héros de ses lectures enfantines avaient pour nom Arsène Lupin, Nick Carter, Rouletabille et Fantomas. Prédisposition, déjà ? Il avait tiré son pseudonyme littéraire des charmants petits villages de Saint-Thomas et de Narcejac, sur la route de Port d’Envaux, à peine à deux kilomètres de Saintes. A propos de son enfance, il écrit : « …un hameau près de Saintes, un lieudit, Narcejac. Il y avait un petit lac que l’on pouvait traverser dans une barque manœuvrée à la perche par un boiteux ».

C’est évidemment le boiteux qui change tout et transforme ce paysage en un véritable décor d’intrigue policière… on pourrait parodier : « Une fine brume s’élevait de la surface, nimbant les typhas. Au loin, un vieux chien enroué s’efforçait d’aboyer… L’aube était blafarde, le jour tardait à se lever… »

Fidèle à ses souvenirs d’enfance et aux parties de pêche dans la Charente, le professeur Pierre Ayraud était devenu Thomas Narcejac, le romancier. Une mutation devenue irréversible. Sa carrière littéraire commença par un genre assez original, le pastiche policier… C’est ainsi qu’il publia des ouvrages à la manière d’Agatha Christie, de Conan Doyle ou de Maurice Leblanc. Art difficile, mais quelle école ! En 1948, il obtint le Prix du roman d’aventure, avec « La mort est du voyage ». C’est au cours de la cérémonie de remise de son prix qu’il fut présenté à Pierre Boileau. De cette rencontre devait découler une profonde amitié qui durera quarante ans, préludant la naissance d’un tandem devenu mondialement célèbre : les Maîtres du romans policiers Boileau-Narcejac.

Ils produisirent à partir de 1950 une quarantaine d’ouvrages et une centaine de nouvelles, traduites en vingt deux langues. Ils écrivirent de nombreux scénarios dont une vingtaine furent portés à l’écran. De grands succès émaillèrent cette collaboration, dont les quelques fleurons suivants :

– 1952 « Celle qui n’était plus », d’où Georges-Henri Clouzot tirera « Les Diaboliques ».
– 1958 « D’entre les morts », dont Alfred Hitchcok produira son inoubliable et impressionnant « Vertigo » devenu les « Sueurs froides » en version française.
– 1962 « Les Maléfices » furent montés à l’écran, par Henri Decoin, à Noirmoutiers.
– 1975 « La porte du large », a été adaptée à la télévision, sur FR 3, par Pierre Badel.
– 1981 « Carte vermeil », adaptation télévisée sur Antenne 2, par Alain Levent.
– 1989 Série télévisée « Les enquêtes de Sans-Atouts », tournées par FR 3 à Marennes.

Puis ce fut « Les Maîtres du mystère », une série d’émissions radiophoniques qui nous ont passionné pendant bien des années.

Les dernières productions.
Après le décès de Pierre Boileau, en 1989, Thomas Narcejac écrira et publiera sous les deux noms, conformément à leur accord, leurs derniers romans, peut-être les meilleurs :

– 1990 « Le soleil dans la main »
– 1991 « La main passe »
– 1992 « Les Nocturnes », son dernier roman.

L’homme Narcejac

Issue de son enfance, sa passion pour la pêche ne l’avait jamais quitté et Madame Narcejac me racontait récemment que son mari partait parfois pour une petite escapade en Bretagne, en compagnie d’un ami Saintais, Hervé Mauduit, pour de grandes parties de pêche. Thomas Narcejac était parfois un homme secret. A l’Académie de Saintonge, à laquelle il avait appartenu presque trente ans, il apparaissait un peu mystérieux, lointain, énigmatique… Charly Grenon dit de lui :  » Immense, toujours vêtu de sombre. Il avait une silhouette inquiétante et ne souriait jamais « . Mais il ajoute aussitôt : « Je pense qu’il se composait un personnage ».

Madame Narcejac conforte d’ailleurs cette opinion puisqu’elle décrit son mari comme un homme  » amusant, gai, extrêmement drôle, même espiègle ! « . Elle a eu la grande gentillesse de me confier un recueil de notes, prises dans le feu de l’action et citant, au fil des conversations, des propos ou des phrases humoristiques de son mari, ce sont les « broutilles ». En voici quelques exemples…

« Ce sont des gens très gentils, mais qui ont l’amitié poisseuse… »
« Une fois que la voirie a fait creuser un trou dans un trottoir, plus personne n’y vient travailler : ils attendent que ça cicatrise… »
« La pauvre femme a un rein flottant et une descente de matrice. Le rez-de-chaussée doit être passablement encombré… »
« Je ne sais pas s’il est, ou non, homosexuel, je dirais qu’il a un petit air frontalier… »
« Il a de ces oreilles… On doit entendre le bruit de la mer dedans ! »
« Des problèmes ? Elle en a des élevages entiers, elle les prend tout petits !  »

Et tout le reste est de la même veine…

Les styles Narcejac

Pierre Boileau et Thomas Narcejac formaient un couple littéraire parfait. Tous deux écrivains, une certaine spécialisation s’était cependant progressivement dégagée, décrite par les Auteurs eux-mêmes : Pierre Boileau excellait à construire et à imbriquer les éléments techniques de l’intrigue cependant que Thomas Narcejac se réservait la mise en forme , le choix et le caractère des personnages et l’écriture finale. Les textes pouvaient aller de la courte nouvelle en à peine une page, au « polar » de cent et quelques pages ! L’une des caractéristiques communes de toutes ces compositions est l’absence quasi généralisée du héros. L’enquêteur fameux, de renommée internationale n’y existe pas. Tout au plus peut-on retrouver un amateur jeune et éclairé, dans la série des « Sans-Atout ».

Madame Narcejac me détaillait la véritable « gestation » du début d’un ouvrage, quand quelques idées étaient là, mais imprécises et confuses, importunes comme des mouches… Thomas Narcejac était physiquement mal à son aise, un peu grognon, incommodé, presque souffrant, dans ces moments-là. Et puis, au fil des jours et du temps qui passait, les choses s’ordonnaient dans sa tête, les enchaînements commençaient à poindre. Peu à peu, la joie le retrouvait, puis le dynamisme du créateur reprenait le dessus : c’était parti !

Dans ce tandem, Thomas Narcejac était donc plutôt le rédacteur. Il écrivait facilement, spontanément, d’un trait, sans jamais faire de brouillon (au grand dam d’un reporter japonais qui s’était imaginé pouvoir photographier des pages torturées, surchargées, quasi illisibles…). Il s’appliquait d’abord à « poser le décors » puis décrivait avec une acuité extraordinaire un cadre, un environnement. C’était un travail de peintre, un véritable impressionniste, recréant à touches légères une ambiance délicate, une atmosphère.

Toute œuvre d’enquête se devait d’avoir un dénouement, une chute ! C’était même le but et l’aboutissement d’un machiavélique échafaudage. Chez Narcejac, c’était le domaine de l’excellence. Cette chute était préparée, arrangée, orchestrée, programmée, pour survenir de la façon la plus imprévisible qui soit, la plus inopinée possible, brutalement, souvent en une ligne, voire en un seul mot.
Oui, en un mot, tout pouvait s’éclairer, s’expliquer, se dénouer…

C’était avec une profonde satisfaction, une exaltation, une véritable jubilation que l’Auteur réussissait un tel exercice, avec une telle perfection! Désarçonner le lecteur, son témoin attentif, et le laisser pantois et rêveur devant une conclusion aussi inattendue de l’intrigue ! Quel plaisir… Cette coquetterie finale, c’était aussi cela, la suprême élégance de Thomas Narcejac.
Thomas Narcejac : un géant !

Mesdames, Messieurs , chers Collègues et Amis, voici le terme de cet hommage au plus grand des Maîtres du roman policier, auquel j’emprunterai cette conclusion :
Un jour, parlant des académiciens du quai Conti, Thomas Narcejac laissait tomber cette dernière « Broutille » :
« Les académiciens ont une épée dont le tranchant est tellement poli par l’usage du beau langage qu’il ne couperait même pas la parole à un collègue ennuyeux »

Messeigneurs et Gentes Dames de l’Académie de Saintonge, j’espère seulement vous avoir fait sourire et que votre flamberge restera sagement en repos !

Merci de votre bienveillante attention.

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