Jacques DANIEL, in memoriam

Jacques DANIEL, in memoriam

bertin-daniel-hJacques Daniel est décédé à Paris, le 9 janvier 2005, à son domicile de la rue du Faubourg Saint-Denis. Il était membre de l’Académie de Saintonge (20e siège) et de nombreuses sociétés savantes saintongeaises. Dans sa séance du 5 mars 2005, l’Académie de Saintonge a décidé qu’un hommage spécial lui serait rendu dans la brochure 2005 et que sa séance de novembre 2005 serait consacrée à élire son successeur au 20e siège.

Parmi les hommages que la presse lui a consacrés, celui du Journal de la Haute-Saintonge du 10 janvier 2005 est le plus attachant pour nous car il est le plus proche de l’Académie. Il estsigné de notre collègue académicienne, Nicole Bertin.

Jacques Daniel était un homme unanimement apprécié. Né à Paris où il avait fait carrière comme directeur financier, il restait profondément attaché à sa maison de L’Éguille dont il avait hérité de ses grands-parents maternels. Une maison calme et douce, en bordure du port, où il venait régulièrement. Bien que retraité, il avait toujours mille choses à faire ! Depuis 1996, il était membre de l’Académie de Saintonge. Chaque année, lors de la séance publique annuelle, il daniel-eguilledressait avec talent le portrait d’une personnalité s’étant distinguée par ses publications ou travaux. En 2004, il avait salué la naissance du nouveau musée de Royan, cher à Marie-Claude Bouchet et à son équipe. L’année précédente, il avait remis le prix chanoine Tonnellier à Jacques Tourneur qui restaure avec passion la commanderie des Épeaux de Meursac.

Au printemps, il faisait coïncider son arrivée à L’Éguille, le village aimé de son enfance, avec la première réunion de l’Académie. En effet, il avait pour habitude de se partager entre Paris et la Charente-Maritime où il passait la belle saison. Nous l’attendions donc début mars…
Le sort en a décidé autrement. Le destin est d’autant plus cruel que 2005 devait être une année particulière puisqu’il avait prévu d’abandonner la capitale pour s’installer définitivement à L’Éguille.

À Noël dernier, il était enthousiaste : « Je suis heureux de revenir dans la commune où ont vécu mes aïeux. Paris n’est plus ce qu’il était ! J’ai de nombreux projets dont 1’aménagement de la bibliothèque que je vais rendre plus fonctionnelle. » Féru d’histoire, il avait constitué au fil des années une collection de livres régionaux – un millier environ – d’une très grande richesse, assortie de cartes et gravures. Cette « galerie privée » regroupait l’ensemble des écrits concernant la région depuis le XVII• siècle.

Généreux, il en faisait profiter érudits et étudiants en quête de documentation. Sa porte était toujours ouverte et de nombreux chercheurs l’ont poussée. Jacques Daniel en éprouvait une joie sincère, celle d’apporter sa pierre à l’édifice de la connaissance.

« Des remerciements lui sont adressés dans la plupart des ouvrages ayant trait au département », remarque François Julien-Labruyère, directeur de l’Académie de Saintonge. Quand sa curiosité était éveillée, Jacques Daniel n’hésitait pas à se déplacer. Ainsi, il se rendit à la médiathèque de Grenoble où se trouvait un manuscrit relatif au blocus de La Rochelle en 1622 par Louis de Bourbon, comte de Soissons. II en fit un microfilm et un agrandissement. Ce document retint l’attention de Jean Glénisson à qui il le montra.
La suite, vous la connaissez. Jean Glénisson consacra un premier volume à ce personnage, suivi d’un second tome à paraître prochainement. « Avec Philippe Gautret, Jacques Daniel m’a apporté une aide précieuse », souligne-t-il.

Actif, Jacques Daniel donnait des conférences – en août dernier, il était l’invité de l’Université d’été de Jonzac – et il appartenait à la Cagouille, cette sympathique association qui regroupe les Charentais que leurs activités professionnelles ont conduits a Paris. L’été dernier, aux cotés de Franck Pilloton et de Jacques Audouin, il avait participé à la rencontre estivale organisée au château de Meux, chez Monique Guilbot. L’hiver, lorsqu’il était dans la capitale, il en profitait pour travailler à la Bibliothèque nationale, visiter les expositions et suivre attentivement les ventes où figuraient des livres susceptibles de l’intéresser. « Je ne m’ennuie jamais », disait-il. Au printemps, il arrivait à L’Éguille avec sa moisson de nouveautés. C’était un moment privilégié, voire de complicité. La collection de Jacques Daniel s’agrandissait et nous nous en réjouissions. Elle comptait d’ailleurs une monographie de L’Éguille qu’il avait écrite dans les années 1990. Aujourd’hui, nous sommes orphelins. Orphelins d’un ami sensible et attentionné, qui aimait partager et donner. II restera dans nos mémoires par les agréables souvenirs qu’il y a gravés. Le projet qui lui tenait le plus à cœur était la création d’une fondation Jacques Daniel à L’Éguille, en partenariat avec le Conseil général et les Archives. Puisse-t-il connaître un aboutissement heureux et son vœu être exaucé. La direction du journal adresse ses très sincères condoléances à Mme Daniel, son épouse et à sa famille.

Nicole Bertin

 

Parmi les sociétés savantes que Jacques Daniel affectionnait tout particulièrement parce qu’il en avait été un des fondateurs et parce que son terrain d’étude incluait L’Éguille, la Société d’histoire et d’archéologie en Saintonge maritime était l’une de ses préférées. Voici la notice nécrologique que lui consacre Bernard Tastet dans le dernier numéro de sa revue. Rappelons que Bernard Tastet reçut en 1999 le prix Prince Murat de Chasseloup-Laubat décerné par l’Académie de Saintonge pour son livre Chaillevette et les côtes de Saintonge, Portus Santonum, les fortunes du sel et l’arsenal du Ponant.

Il était né à Paris le 12 février 1921 de Hubert Daniel et de Rachel Grolleau, fille de Cléophas Grolleau qui s’était fait une belle place dans l’ostréiculture à L’Éguille. Mais nonobstant sa naissance dans le faubourg Saint-Denis et sa lointaine ascendance bretonne par ses aïeux paternels de la septième génération, il revendiquait farouchement son appartenance à la Saintonge, son père et sa mère étant natifs de « L’Éguille en Saintonge », titre de son ouvrage majeur. Après une vie entière consacrée de manière éclatante à la terre de ses ancêtres, nul ne lui contestera son identité saintongeaise.

Entré à la direction financière des automobiles Peugeot, son père fit carrière à Paris et il engagea Jacques dans la même voie. Pour cela, le collège Turgot sembla l’établissement scolaire le mieux adapté. Jacques y travailla surtout les matières scientifiques et les mathématiques, afin de devenir lui aussi un financier. Il s’amusait du paradoxe d’avoir été formé aux arts techniques dans un établissement portant le nom d’un illustre représentant de la Physiocratie, cette brillante école qui prônait la prédominance de l’agriculture. Il était intarissable sur les rapports quelquefois difficiles de ce visionnaire avec son ami Diderot auquel il offrit néanmoins sa contribution à l’Encyclopédie sous la forme de la rédaction de plusieurs chapitres. Quant à la doctrine économique dont Turgot se fit l’apôtre, elle était séduisante bien qu’elle fît sans vergogne l’étalage de criantes contradictions : haine du monopole et défense de la Compagnie des Indes, horreur de l’esclavage et nécessité des esclaves… Une vision encyclopédique ne peut s’accommoder de l’esprit de système. Tout Jacques Daniel est contenu dans Turgot.

Le « physiocrate » de L’Éguille est directeur financier chez Honeywell-Bull. L’auteur qui n’a jamais écrit qu’à la plume est allergique à l’ordinateur dont il contribue à inonder le marché. Le cadre de la rive droite, assidu de la Bourse, passe tous ses loisirs dans les cercles et chez les bouquinistes de la rive gauche. L’homme des chiffres le jour se mue le soir, sinon en homme de lettres du moins en consommateur de mots pour écrire l’histoire de son pays.

C’est dès son plus jeune âge que lui est venu le goût de la quête de ses racines. « Mon père m’ayant appris très tôt à aimer l’histoire, je voulus connaître celle de L’Éguille. Or elle n’en avait pas… », écrit-il dans l’avant-propos de L’Éguille en Saintonge. Ses nombreux lecteurs lui savent gré d’avoir élargi le champ de ses investigations à l’histoire de la province. La méthode, élaborée empiriquement à partir des années 1950, fut très féconde. Chaque été, pendant les vacances, il explorait avec minutie les archives municipales de L’Éguille et les archives départementales de la Charente-Maritime, sans omettre les fonds constitués en divers lieux privilégiés de l’histoire locale tels que la bibliothèque municipale de Saintes ou le service historique de la Marine de Rochefort. Ce ratissage horizontal des archives se doublait d’une prospection en profondeur du sol saintongeais avec ses amis archéologues, sous la férule de Robert Colle. De cette époque datent ses principales découvertes entreposées aujourd’hui en différents lieux, sa maison de L’Éguille, le musée de la Vieille Paroisse à Rochefort ou encore celui de Royan qui a reçu en dépôt le célèbre « pot de L’Éguille », dégagé en 1964 du substrat néolithique du site peu-richardien des Flottes. Reconstituée méticuleusement de ses mains, cette magnifique poterie est à l’œuvre archéologique de Jacques Daniel ce que sera plus tard L’Éguille en Saintonge à son historiographie, c’est-à-dire la pièce maîtresse.

Dès son retour à Paris, résidant dans un quartier stratégiquement on ne peut mieux situé, à mi-chemin des Archives de France et de la Bibliothèque nationale, il devait faire de ces hauts lieux de la connaissance sa seconde demeure. Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’en un demi-siècle de siège en règle, tous les documents manuscrits, imprimés ou iconographiques se rapportant à l’histoire de l’Aunis et de la Saintonge, ont été identifiés et transcrits en fiches analytiques parfaitement répertoriées dans un système de classement manuel qui jusqu’alors n’a jamais laissé apparaître de faille.

Parallèlement à ce travail de bénédictin, Jacques Daniel se constituait progressivement une bibliothèque dont chacun reconnaît qu’elle est sans égale, tant en ce qui concerne l’histoire que la cartographie et l’iconographie saintongeaises et aunisiennes.

Autre singularité de l’attachante personnalité de Jacques Daniel, le collectionneur impénitent qu’il était devenu, se situait à l’opposé de la représentation habituelle du collectionneur tourné vers lui-même et vers les objets accumulés. Il donnait l’impression d’avoir rassemblé ces immenses collections pour autrui. Il était heureux lorsqu’il avait pu apporter à ses interlocuteurs la réponse attendue, preuve à l’appui. Il avait ce don rare de savoir et d’aimer communiquer avec les puissants comme avec les plus humbles.

Toutes les formes de la communication lui étaient familières. Celle qu’il expérimenta en premier lieu fut la communication écrite. Il n’y a sans doute aucune société savante du département de la Charente-Maritime qui n’ait eu l’occasion d’éditer le fruit de ses travaux et de sa réflexion sous la forme d’articles touchant aux aspects les moins connus de l’histoire régionale dénichés dans quelques dossiers secrets. On peut même affirmer que ses articles ont bien souvent été repris et développés par d’autres historiens et constituent quelquefois l’origine d’avancées historiques retentissantes. Qu’en serait-il par exemple aujourd’hui de la connaissance de l’histoire fabuleuse de Pierre Dugua de Mons sans les travaux initiaux, voire initiatiques, qu’il a conduits sur la famille Gua ?

On citera aussi, concernant le site d’Anchoine, l’article paru dans le bulletin de la Société de géographie de Rochefort de janvier 1975 et la découverte par Jacques Daniel de la carte de Delongueville de 1747 qui localise une Anchoine trembladaise et une Anchoine palaisienne. Il ouvrait la voie à une approche désormais scientifique de la question qui jusqu’alors empruntait à la mythologie. Chaque année, avec une grande régularité, il distribuait ainsi aux sociétés savantes, dont il était souvent le pilier, l’article qui allait révéler encore quelque pan méconnu du passé. Jamais le magazine semestriel de la municipalité de L’Éguille ne paraissait sans que la rubrique « Un peu d’histoire » ne soit alimentée par son illustre administré.

Communication écrite plus noble encore est celle qui s’exprime dans les ouvrages qu’il fit éditer comme auteur ou comme co-auteur. Parmi les principaux, il y a L’Éguille en Saintonge paru en 1993 chez Bordessoules. « Un modèle du genre », écrira Jean Glénisson justifiant a posteriori le grand prix de l’Académie de Saintonge qui lui fut décerné l’année suivante. L’auteur couronné devait d’ailleurs rejoindre les immortels de l’Académie en 1996 au fauteuil de Camille Gabet, ancien président de la Société de géographie de Rochefort. Après L’Éguille en Saintonge, deux autres de ses ouvrages sont entrés dans la bibliographie saintongeaise : La Saintonge illustrée éditée en 1999 par Geste-éditions et L’Armée d’Aunis devant La Rochelle qui constitue le tome LVI des Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis (année 2003).

Une autre forme de communication écrite dans laquelle il excellait est la fiche épistolaire qu’il adressait à ses correspondants en écho aux questions posées. De sa belle écriture à l’encre noire, la réponse tombait précise et argumentée comme un mémoire de maîtrise, qu’il s’agisse de sujets purement historiques ou encore relatifs à la généalogie ou à l’héraldique, disciplines qu’il affectionnait particulièrement.

L’exposé magistral ou la conférence le mettaient un peu mal à l’aise car il avait l’impression d’avoir une élocution trop rapide pour ce genre d’exercice. Il n’en était évidemment rien. La dernière intervention de cette nature, à l’Université francophone d’été de Jonzac, le 9 août 2004, démontre éloquemment qu’il savait captiver son auditoire.

daniel-051855Au large public, il préférait l’entretien de face à face, dans son cabinet de travail, les fiches, les dossiers, les cartes et les plans à portée de main. Là, il éblouissait par sa prodigieuse mémoire et son aptitude à trouver dans l’instant la fiche la plus ancienne sur le sujet le plus vague.

Enfin, dernière forme de communication, la communication par l’iconographie. C’était le domaine privilégié de Jacques Daniel car il se savait mieux armé que quiconque pour appuyer par l’image la thèse, la théorie ou la narration dont la seule exposition par les mots pouvait paraître hermétique. Dans les trente dernières années, il ne semble qu’il ait été édité un livre sur l’histoire régionale sans la contribution de Jacques Daniel à son illustration. Tout avait commencé dans les années 1960 avec l’étroite complicité qui avait présidé aux travaux du professeur Robert Colle. Les deux amis ont sillonné la Saintonge profonde, visité les belles demeures, étudié les archives, sondé les vestiges archéologiques, photographié tout ce qui semblait avoir un intérêt patrimonial. Et quand le moment fut arrivé de dispenser leur immense savoir, l’un écrivit, l’autre illustra. L’exercice se répéta par la suite avec de nombreux autres auteurs. Jacques Daniel a été aux historiographes en général et à Robert Colle en particulier ce que Louis-Jacques Goussier fut à Diderot dans l’élucidation de l’Encyclopédie. Le textes ne pouvant être compris sans les planches qui les accompagnent, Diderot explique à sa manière le mécanisme de l’intervention de l’illustrateur, l’œil et l’esprit circulant de l’image aux mots : « La peinture n’atteint point aux opérations de l’esprit ; l’on ne distinguerait point entre des objets sensibles distribués sur une toile, comme ils seraient énoncés dans un discours, les liaisons qui forment le jugement et le syllogisme, ce qui constitue un de ces êtres sujet d’une proposition, ce qui constitue une qualité de ces êtres, attribut, ce qui enchaîne la proposition à une autre pour en faire un raisonnement, et ce raisonnement à un autre pour en composer un discours ».

Conscient de la difficulté de maîtriser la syntaxe de l’image, de la plume ampoulée de son temps, Diderot rend ainsi un bel hommage aux iconographes dont Charly Grenon n’hésite pas à affirmer que, dans la province qui lui est chère, Jacques Daniel fut le plus grand. Il est tentant d’établir une corrélation entre une si parfaite réussite et l’enseignement de Turgot…

La brutale disparition de notre ami nous laisse désemparés. Mais le maître de la communication n’a pas fini de nous éclairer de son savoir. Il avait pris soin de mettre ses biens à la disposition des chercheurs par le truchement de la Fondation Jacques Daniel.

Nos pensées vont à sa veuve qui a la lourde tâche de donner vie à l’œuvre de son mari.

BernardTastet

 

Jacques Daniel était membre de nombreuses associations et considérait son adhésion à la fois comme un soutien et comme un moyen de communication avec sa Saintonge. Parmi elles, les Vieilles Maisons françaises dont il ne manquait jamais une rencontre. Et une visite… S’il est une facette de sa personnalité parmi les plus notables, c’est bien son goût à visiter une vieille demeure et à la rattacher à son environnement familial. Les extraits qui suivent sont tirés d’un hommage que lui a rendu De la Seudre à la Charente, le bulletin de la Société d’histoire du canton de Marennes et de ses environs (juillet 2005, n° 15). Ils expriment au mieux ce Jacques Daniel fouineur de souvenirs familiaux ; le texte s’appelle : « La Dernière Visite de Jacques Daniel à Marennes » ; il est de Michelle Lallement.

C’était en juillet dernier que je fis la connaissance de Jacques Daniel dont je savais les immenses talents d’historien. (…) Il avait souhaité venir sur place et visiter les lieux, en spécialiste de la famille Froger. Cette famille, qui a aussi ses racines à L’Éguille, il en avait traité dans la monographie qu’il a consacrée à son village de cœur, voici quelques années. C’est à mon ami Bernard Tastet que je dois l’initiative de cette rencontre.

Nous voici donc devant la façade arrière de ce bâtiment (l’ancienne sous-préfecture de Marennes) considérant l’architecture, commentée par Jacques Daniel, délimitant les parties primitives de cet ancien hôtel particulier des Froger de La Rigaudière, en soulignant les réajustements du siècle suivant. Quelques photos plus tard, nous pénétrions dans le hall d’entrée et bientôt nous gravîmes le bel escalier de pierre, recouvert de bois sur un étage. La curiosité nous emporta à l’étage supérieur (…), les greniers nous tendaient les bras (…), des lucarnes « damoiselles » nous plongions sur l’immeuble en face où nous étions attendus pour une autre visite éclairée, quand nous fûmes surpris comme des conspirateurs.

Mea culpa ! J’avais oublié de demander une autorisation dans l’urgence où s’était décidée cette visite. J’entends encore Jacques Daniel (de l’Académie de Saintonge) et Bernard Tastet, l’historien de Chaillevette et lauréat de la même académie… Quant à Marie-France Tastet et moi-même, nous n’osions rire de la situation dans un tel moment ! Mais notre bonne humeur ne fut pas entachée par cet incident. Le quatuor de conspirateurs accompagné de mon petit-fils de sept ans redescendit dans la rue sans commentaires. Qu’allais-je dire à cet enfant pour me justifier ?

La suite de la visite se poursuivit chez mes amis Christian Vappereau et Annie Métreau son épouse, qui demeurent dans une belle maison, également construite par un des ancêtres de la famille Froger de LA Rigaudière en 1777. Jacques Daniel étala sous nos yeux un plan de Marennes en 1770 (des Archives nationales) et répondit à toutes les questions que la lecture de ce plan imposait à notre curiosité (quelques jours plus tard, je ne manquais pas d’en recevoir une copie). (…) En compulsant les archives mises à notre disposition, on finit par découvrir que, après avoir épousé Jeanne-Louise Martin de Bonsonge, le Saintais (Boscal de Réals) s’était établi à Marennes et en devint dès 1804 le maire adjoint. La conquête de Saintes et de sa mairie sera pour l’année 1815.

Décidément, les Martin de Bonsonge sont alors incontournables dans l’histoire locale. Une visite de leur hôtel marennais s’imposait (…). La semaine suivante, un nouveau rendez-vous allait nous réunir cette fois dans une autre illustre maison de Marennes, maison au carré militaire faisant face au temple, ancienne demeure de la famille Martin de Bonsonge dont il était également le spécialiste. Là aussi, nous fûmes reçus avec une extrême gentillesse par M. et Mme Masteau, les propriétaires, et en connaisseur, Jacques Daniel parcourut les documents et les actes mis à notre disposition par la courtoisie de nos hôtes.

Après la visite des lieux, nous restâmes quelque peu imprégnés de toute l’histoire de ces murs. Par la suite, c’est par correspondance que nous avons échangé nos dernières trouvailles. (…)

Michelle Lallement

 

Un autre témoignage est parvenu à l’Académie de Saintonge, celui de son ami René Faille. Qui ne connaît pas René Faille, l’ancien patron de Giraudon, la principale collection iconographique de France, et l’auteur de nombreux ouvrages historiques toujours forts documentés ? La Saintonge lui doit surtout ses études sur les phares et les fortifications de la côte charentaise (Prix Jean de Loménie de Brienne 1975 décerné par l’Académie de Saintonge pour Les Trois plus anciens phares de France, Cordouan, Les Baleines, Chassiron), ainsi que la biographie de Claude Masse et la publication de ses cartes. René Faille est aussi – et peut-être surtout – un des grands spécialistes français de Fénelon.
Giraudon et son magnifique fonds iconographique, Masse et ses cartes ou Fénelon et son séjour à la Bristière, la rencontre avec Jacques Daniel était inscrite dans le ciel saintongeais… Le texte qui suit est une parfaite illustration du passionné qu’était Jacques Daniel et des liens étroits qu’il entretenait avec l’histoire de la Saintonge.

Il est loin le temps de nos escapades en Saintonge en compagnie d’Henri Lahetjuzan, « un de nos faiseurs d’âme (1)» , avec une baguette de coudrier. Ayant repris les éditions Rupella, Henri Lahetjuzan devint mon éditeur-imprimeur. C’est en 1979 qu’il publia Les Ingénieurs Masse et le Recueil des plans de La Rochelle par Claude Masse.

C’est grâce à Claude Masse que j’ai rencontré Jacques Daniel en 1968 et notre parcours saintongeais puis fénelonien fut parallèle pendant plus de trente-cinq ans. Il a suivi mes recherches sur les phares et sur les Masse comme j’ai suivi les siennes pour L’Éguille. Il était surtout intéressé par la « retrouvaille » du « treizième quarré » de la carte des côtes du Bas-Poitou, Aunis et Saintonge, celui où figurait L’Éguille – son « cher » L’Éguille. C’est en juillet 1993 que je vis naître « le Daniel », l’œuvre majeure de « l’homme de L’Éguille dans une botte d’univers » (2), qui fut couronnée en 1994 par l’Académie de Saintonge avant que son auteur n’y soit officiellement reçu en 1996 par Madeleine Chapsal.

L’intérêt que Jacques Daniel porta à Fénelon n’est connu, lui, que de Claude Coutant-Pajany, Jean Mesnard et Jean Glénisson. C’est à l’augmentation du fonds Fénelon de la médiathèque de Cambrai qu’il l’a exercé. Après une visite au château de la Bristière (à Échillais) où nous avions été invités par Jean de Mathan (3) et où Fénelon avait séjourné chez sa sœur de 1685 à 1687, Jacques Daniel s’est rappelé qu’Hippolyte Le Gardeur de Tilly, apparenté par son mariage à une descendante de la comtesse de Beaumont, sœur aînée de l’archevêque de Cambrai, avait donné à la bibliothèque de Saintes, à la suite de l’incendie de 1871, les archives de Léon de Beaumont, évêque de Saintes, ancien archidiacre de Cambrai et héritier de Fénelon (4).

Grâce à Claude Coutant-Pajany qui nous a ouvert ces archives non encore inventoriées, nous avons retrouvé plusieurs documents : la lettre d’ordination de Fénelon à Sarlat (5), le brevet de don par Louis XIV de l’abbaye de Saint-Valéry à l’abbé de Fénelon, etc… Certains sont encore en cours de publication et ils ont permis de préciser bien des points inconnus de la vie de Fénelon.

D’autre part, Jacques Daniel, m’informait régulièrement sur les livres concernant Fénelon qu’il découvrait dans les catalogues de libraires et dans les ventes publiques. Comme l’écrit Mlle Térouanne, la conservatrice de la médiathèque de Cambrai, il a ainsi contribué à « l’enrichissement des collections féneloniennes de Cambrai ». Le processus était le suivant : Jacques Daniel repérait un ouvrage, notamment lors des salons parisiens de bibliophilie dont il ne manquait jamais l’ouverture, vite il me le signalait par téléphone, je le faisais préempter par la direction du Livre au ministère, Jacques Daniel le récupérait et je le portais dans une sacoche à Cambrai. Neuf fois sur dix, son renseignement était suivi d’effet et le fonds Fénelon de Cambrai a pu récupérer des ouvrages très rares dont les plus marquants sont une édition du Télémaque d’Amsterdam de 1734 et deux traductions du même Télémaque, l’une en italien (1747), l’autre en hollandais (1720).

Je connaissais depuis plusieurs années son intention de créer une Fondation Jacques Daniel à L’Éguille et l’avais encouragé en ce sens en déposant chez lui mes archives « Masse sur l’Aunis, la Saintonge et le Médoc ». En réponse à ses derniers vœux de nouvel an qui m’annonçaient de bonnes nouvelles concernant la fondation, je voulais lui téléphoner pour lui dire que j’avais l’intention de lui déposer mes archives « phares et Vauban en Aunis et Saintonge ». C’était le 10 janvier au matin et c’est Mme Daniel qui m’a téléphoné à 10 heures pour m’annoncer la mauvaise nouvelle…

René Faille

 

(1)- F. Julien-Labruyère, L’Alambic de Charentes.
(2)- F. Julien-Labruyère, Enquête sur une marandaise.
(3)- Héritier des descendants de la comtesse de Beaumont, Jean de Mathan entretient à la Bristière le souvenir de Fénelon (reconstitution de sa chambre et organisation de manifestations comme celle célébrant le 350e anniversaire de sa naissance en 2001 sous la présidence de Jean Mesnard, le reportage photographique ayant été assuré par Jacques Daniel).
(4)-Léon de Beaumont était le fils de la comtesse de Beaumont, donc le neveu de Fénelon.
(5)Lettre publiée en 1994 par René Faille dans L’Essor sarladais

 

Le dernier mot de cet hommage revient au Bulletin municipal de L’Éguille qui consacre presque entièrement son numéro 51 de juin 2005 à Jacques Daniel. En voici quelques extraits sous la plume du maire de L’Éguille, Jean Russo.

Nous n’aurons pas dans cette édition le mot d’histoire, habituel, de Jacques Daniel. Ce grand Éguillais nous a quittés au mois de janvier avec plein d’idées dans sa tête qu’il souhaitait nous soumettre lors de sa retraite définitive à L’Éguille, prévue au mois de mars. Ce sage a laissé un grand vide dans notre village mais nous a légué une très importante collection historique sur l’Aunis et la Saintonge quil a accumuilée durant toute sa vie avec un seul but, celui de restaurer l’histoire éguillaise. Il a pour cela rédigé un livre à édition limité, L’Éguille en Saintonge. J’invite d’ailleurs les nouveaux résidents curieux de connaître l’histoire éparse et secrète de leur village d’accueil à lire cette œuvre disponible à la bibliothèque de L’Éguille.

el n’était pas seulement un historien amoureux de son village, il était généreux et désirait léguer son patrimoine au département avec une participation de la communauté d’agglomération du Pays royannais sous la forme d’une fondation à condition que le tout demeure à L’Éguille. C’est ainsi que cette opération, qu’il souhaitait mener de son vivant, pourrait voir le jour grâce à la volonté affirmée de son épouse Odette, qui désire mener à bien cette dernière volonté. Nous lui sommes reconnaissants de cette décision qui restera gravée au cœur des Éguillais comme un dernier geste historique et de fidélité émis à la mémoire du défunt Jacques Daniel, son époux.

Ses recherches et cette œuvre reconnue lui ont ouvert les portes de l’Académie de Saintonge. Jacques partageait sa vie entre Paris et L’Éguille, mais avec un cœur toujours présent dans son village, il cultivait l’amour de sa commune. Élu communal depuis de nombreuses années jusqu’en 1995, il a apporté son concours et sa sagesse dans la conduite des affaires de la municipalité. Depuis, il continuait à s’informer et à s’engager par des actions concrètes dans la vie de la cité, voire plus largement au niveau de l’intercommunalité. Il mettait régulièrement à la disposition des érudits et de ses pairs son extraordinaire bibliothèque ainsi que ses grandes connaissances. Jusqu’au bout, Jacques a conservé ce magnifique potentiel intellectuel qui le caractérisait et souhaitait continuer à les mettre à disposition de notre commune, comme le prouve ces quelques dernières lignes qu’il m’a écrites avant sa disparition : « Dernière nouvelle ! Retour définitif à L’Éguille le 2 mars ! Adieu Paris ! D’où j’emporterai avec moi quatre-vingt-quatre ans de bons souvenirs, une jeunesse heureuse, entouré par des parents unis et attentifs (auxquels j’ai causé bien des soucis par ma santé fragile jusqu’à six ans, après jamais malade !), une vie professionnelle réussie, les Archives nationales, la Bibliothèque nationale (la vieille, celle de la rue Richelieu !) les musées, une vie intellectuelle inoubliable mais que je quitte sans regrets. Pour L’Éguille où je foisonne de projets pour 2005. Je vous étonnerai ! Amitiés. »

Jacques est revenu à son port d’origine, parmi les siens dans cette terre saintongeaise à L’Éguille, son village où il reposera désormais dans le petit cimetière auprès de ses parents, comme il le souhaitait.

Jean Russo

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