Panorama de l’année culturelle Saintongeaise en 2007
Par Marie-Dominique Montel, directeur en exercice
Mesdames et messieurs, chers amis, bienvenue à tous.
Je vais prononcer la formule rituelle : je déclare ouverte cette cérémonie des Prix de l’Académie de Saintonge, que nous organisons cette année pour la première fois, grâce au soutien de la région Poitou Charentes. Et je tiens à remercier le Conseil régional, en la personne de ses représentants, de l’intérêt qu’il manifeste ainsi pour nos travaux. Ma reconnaissance va également au département de Charente-Maritime qui épaule notre Académie de son aide fidèle depuis de longues années. Il n’est pas désagréable au moment de décerner des prix de mentionner que nous aussi nous sommes appréciés.
Ces prix – le grand prix de l’Académie, 10 autres prix et deux médailles – qui vont couronner aujourd’hui, les plus excellentes réalisations, sont la partie visible du travail de l’Académie. Au cours de plusieurs réunions successives les académiciens repèrent, étudient, sélectionnent les plus beaux fleurons de la vie culturelle. Cette pré-selection est suivie d’un vote, ce qui fait que l’Académie est tous les ans en année électorale. Ses grands électeurs sont ici, devant vous. L’Académie de Saintonge compte, c’est le règlement, 25 académiciens, certains sont sur cette estrade les autres sont dans la salle je vais leur demander de se lever pour que vous puissiez les repérer les applaudir, c’est bien leur tour.
Vous avez donc sous les yeux l’Académie. Seulement, dans « Académie de Saintonge » il y a aussi Saintonge ; et là, les choses se compliquent : comment définir cette Saintonge à laquelle nous avons tous la conviction d’appartenir, dont la langue a été reconnue enfin cette année comme Langue de France, mais qui n’apparaît sur aucune carte de géographie récente. Je ne saurais trop vous conseiller la lecture d’un excellent ouvrage publié il y a quelques mois, et que vous trouverez à la sortie de la salle …c’est le livre du Jubilé de l’Académie de Saintonge, dans lequel l’un de nos collègues, Marc Seguin, s’est penché sur la question. Il nous explique que la Saintonge est multiple et que son extension a été fort variable, selon les périodes, selon les juridictions. Il est un autre fait rarement mentionné (quoique Marc Seguin ne soit pas passé à coté)… qui rend peut-être difficile l’établissement de frontières précises : les Saintongeais bougent. On parle souvent de la lenteur charentaise, c’est injuste, ce sont les jaloux les immobiles, ceux qui ne bougent pas du tout qui nous reprochent de nous déplacer lentement. Il n’est qu’à voir l’importance du mouvement charentais dans les célébrations nationales et les évènements culturels 2007-2008. En provenance des Charentes, il y a Jean Monnet, « Père de l’Europe » dont nous commémorons cette année la naissance. Jean Monnet qui a dit : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture ». Il y a également Champlain que nous allons fêter en 2008, pour l’anniversaire de la fondation de Québec. Champlain, né à Brouage avait adopté trois petites indiennes qu’il avait baptisées Foi Espérance et Charité, nous apprennent Caroline Glénisson et Jean Glénisson dans leurs savantes biographies. Et puis, dans ce panorama des charentais qui bougent, il ne faudrait pas en oublier un, qui avait fait précisément du mouvement son métier, Louis Delage le fabricant des voitures somptueuses, à qui Cognac sa ville natale rend hommage à travers une exposition.
Ceux là sont les charentais d’exportation. Et puis, il y a les charentais d’importation, de coeur, mus par le charento-tropisme et qui se rendent chez nous pour quelques mois, quelques années ou toute une vie. Le hasard des dates historiques, des grandes rétrospectives place au premier rang cette année plusieurs d’entre eux : Gustave Courbet, venu s’imprégner de nos lumières et qui a peint autour de Saintes de magnifiques toiles…..Choderlos de Laclos qui profita d’un séjour de trois ans à l’île d’Aix pour écrire les liaisons dangereuses. C’est aussi l’année Vauban, le grand fortificateur de Louis XIV, qui a fait construire pour nos enfants sur nos plages les modèles de tous les châteaux de sable.
On voit bien que tous ces gens là ont un pied chez nous et l’autre qui a la bougeotte mais est-il possible de déceler chez eux un autre point commun qui nous permettrait de cerner plus précisément l’identité saintongeaise ? Je crois que j’ai trouvé. Comme vous, cette histoire de la lenteur des charentais m’a toujours un peu froissée. Tant qu’à faire j’aurais aimé qu’on souligne un autre aspect de notre riche personnalité. Et j’avais tort ! La lenteur c’est le secret des rencontres réussies, qui ne sont pas une exclusivité saintongeaise, mais pour lesquelles, il faut reconnaître que nous avons le coup de main ! Si l’on va trop vite, on ne fait pas de rencontres, on se croise, ou ce qui est encore plus ennuyeux comme le savait Delage qui fabriquait de si belles automobiles, on se percute. Le saintongeais qui s’y connaît, lui, prend le temps nécessaire, c’est même sa spécialité. Mieux qu’un autre peut-être, il sait accorder de l’intérêt, de la considération, à ceux que le destin met sur sa route. S’il a du talent c’est souvent là qu’il réside, dans cette attention, cette compréhension qui transparaît dans ses écrits ou sa peinture… voire dans son breuvage, cette boisson qui semble inventée spécialement pour ce genre d’occasion.
Les rencontres sont des évènements majeurs, dans une vie et dans une culture. Pour le Saintongeais, c’est un fait de civilisation. Quand Champlain a rencontré les indiens du Canada, le résultat a été tel qu’il a donné naissance au mythe du « bon sauvage ». La philosophie des lumières lui doit beaucoup. Vauban avait lui, une conception un peu plus rustique, un peu plus archaïque du mot rencontre. Je ne sais pas quel vocable il utilisait pour désigner les marins anglais qui nous rendaient parfois visite sur nos côtes, mais je suis a peu près convaincue (et je parle sous le contrôle de Nicolas Faucherre, notre grand spécialiste qui est dans la salle) qu’il n’utilisait pas les termes de bons sauvages. Il faut convenir pourtant que dans le système de Vauban, la rencontre était un vrai feu d’artifice. D’ailleurs, elle était rare. Généralement on ne rencontrait pas vraiment les anglais, on se contentait de les « voir », avec cette grande cordialité, perceptible encore de nos jours dans l’emploi du verbe voir par le corps enseignant, comme dans l’expression « j’aimerais voir vos parents ». Ce qui était rare chez Vauban devient précieux un siècle plus tard. Choderlos de Laclos avait de la rencontre une opinion tellement haut placée qu’il en fait le levier des «Liaisons dangereuses ». C’est l’histoire d’un engrenage infernal qui va aboutir à une hécatombe, et le mécanisme fonctionne précisément parce que les protagonistes, le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil, ne se rencontrent jamais ! On est au fait de ces choses dans une ville comme Saintes où se produisent chaque année de magnifiques rencontres musicales. Que font des musiciens en effet, quand ils se rencontrent ? Ils s’accordent ! Jean Monnet a mis cette méthode à contribution dans sa construction européenne.
Sensible à cet aspect lui aussi, Courbet en a fait le sujet de l’un de ses tableaux majeurs. La Rencontre. Que nous appelons aussi « Bonjour Monsieur Courbet ». L’histoire de l’art nous enseigne que Courbet était si content de lui, qu’il s’est représenté (portant son matériel de peintre) salué avec respect par Alfred Bruyas, son plus important mécène. Ma perception est moins érudite, mais plus saintongeaise. En rase campagne, les deux hommes sont en tenue de voyage. Le chemin ne leur fait pas peur. Ils ont d’ailleurs une barbe de plusieurs jours, comme Stanley et Livingstone ! Comme Stanley et Livingstone, ils réalisent la chance qu’ils ont de tomber l’un sur l’autre. Voilà ! Moi, j’aime à voir dans ce tableau le plaisir de s’arrêter pour prendre le temps de savourer un moment inestimable : une rencontre. C’est aussi ce que nous venons faire ici dans cette salle Saintonge, rencontrer « à la saintongeaise » des Saintongeais d’exception, qui témoignent de la vitalité de la culture régionale. Bonjour Monsieur Courbet !