Laurent Vidal, pour « Les Hommes lents »
Prix Jehan de Latour de Geay
Laurent Vidal, pour Les Hommes lents. Résister à la modernité XVe-XXe s. (Flammarion, 2019)
Rapport : Alain Quella-Villéger
Rendre compte d’un livre sur la lenteur en période de confinement donne le sentiment de la vitesse, mais, attention, ce livre nous dit justement qu’elle ne saurait être une vertu sociale ! « La force est du côté des lents », stipule un chapitre et ce serait faire injure à un tel essai que de le prendre par le petit bout de la lorgnette charentaise et cagouillarde tant il annonce une réflexion « déconfinée » de tout entre-soi mesquin. Le sous-titre est : Résister à la modernité XVe-XXe siècles, par « résister », Laurent Vidal entend aussi « réexister »…
Laurent Vidal, professeur à l’Université de La Rochelle, bien connu pour ses travaux sud-américains, notamment sur le Brésil des temps modernes, s’est nourri ici de sa spécialité pour réfléchir à tous les discours discriminants qui disqualifient depuis le Moyen-Âge certaines populations. Les « hommes lents », ce sont les indigènes, ce sont les autres, ceux qui ne vivent pas au rythme d’une modernité industrielle contente d’elle-même (du temps de Christophe Colomb, déjà, on accusa de paresse les Amérindiens, mais notons qu’on leur emprunta le confortable mot de hamac !). L’histoire coloniale ne s’est pas privée de réduire l’indigène à la fainéantise, quitte pourtant à le faire esclave dédié au travail forcé.
« La vitesse est devenue notre prison et nous sommes tous atteints du même virus : la fast life », écrit L. Vidal. Comment ne pas s’arrêter ici sur le mot virus quand on sait combien le dernier à la mode a été si rapide pour tous nous immobiliser ? Ce livre ne procède pas du « Droit à la paresse » cher à Lafargue, moins encore il ne formule un nouvel éloge de la nonchalance. Au contraire, entre indolence et insolence, il réclame un effort, une prise de conscience : repenser l’autre sans le critère de la vitesse ou de la performance, sans stéréotypes dévalorisants, bref sans racisme.