Réception d’Emmanuel de Fontainieu au 13e siège de l’Académie

Réception d’Emmanuel de Fontainieu au 13e siège de l’Académie

Discours de présentation par Alain Quella-Villéger

Alain Quella-Villéger À Tahiti, où l’on s’attend volontiers à rencontrer Pierre Loti, parce que, près d’une cascade sauvage, veille sa statue en jeune marin, il suffit, sur la route y conduisant de croiser une belle bâtisse nommée Saintonge pour se demander ce que fait, près de Papeete cette Saintonge de style colonial à belles balustrades blanches ? Victor Raoulx, marin et commerçant oléronais né à Dolus (1842-1914), inconnu du si exhaustif Dictionnaire biographique des Charentais (Le Croît Vif, 2005), ayant contracté sur place fortune et mariage, fit en effet construire cette demeure pour attester de ces deux réussites. Cette image, cette anecdote, pour rappeler que la Saintonge, pour partie immatérielle, est volontiers vouée au grand large et à l’exotisme, ce que l’histoire de l’Hermione nous raconte aussi à sa façon — version nord-américaine, cette fois.

Or, c’est sans doute cette fragrance hauturière que vient nous apporter aujourd’hui la présence d’Emmanuel de Fontainieu. Son itinéraire porte d’ailleurs sa part de Pacifique puisqu’il a fait son service militaire dans la Marine, à Nouméa.

Que je vous explique : Fontainieu n’est pas d’ici ; c’est un immigré qui a été victime consentante de deux processus : la maritimisation et la « saintongisation » – j’ose le néologisme ! Il est en effet né loin de tout littoral, en Alsace, a quitté les bords du Rhin pour ceux de la Seine, le temps de brillantes études (ENS, Institut d’études politiques, licence de lettres modernes, maîtrise et DEA d’histoire période Révolution française, agrégation de Sciences éco), puis il s’est rapproché de la Loire (étape chez Léonard de Vinci au Clos Lucé), avant enfin d’aborder le fleuve Charente.

Cela se passe à Rochefort : notre officier de Marine de réserve devient en 1993 directeur du Centre International de la Mer créé en 1985 dans l’ancienne Corderie Royale, et l’est toujours. Le néo-Rochefortais loge longtemps à La Rochelle, mais finit par quitter ces Aunis par s’installer à Cozes. Le processus de « saintongisation » est achevé : Emmanuel de Fontainieu est définitivement passé du Riesling et du Sylvaner aux terroirs qui produisent le cognac et le pineau…

Notre homme est désormais atteint par le goût des églises romanes, par la lumière blanche de la côte, par la pureté poétique du marais, par le charme de Rochefort, « ville rare » et « arsenal des roseaux », et le revendique non comme le symptôme d’une pathologie incurable, mais comme identité nouvelle, choisie, comme une « doctrine » même — c’est son mot… La Saintonge n’est pas seulement un territoire (dont les contours font parfois débat), ni seulement un imaginaire qui sent l’iode, elle est une pensée dynamique et ouverte sur le vaste monde. Un défi peut-être, parce que même en absence visible du large, la mer est là partout prégnante. Quand l’arsenal de Rochefort fut fermé en 1927, « la mer fut en quelque sorte répudiée par décret », dit-il joliment. Oui, mais la mer, justement, ce « grand amour impossible de Rochefort » (cette fois, c’est Orsenna qui parle), répudiée ou pas, visible ou pas, est partout omniprésente. Oserai-je dire qu’il en est ainsi de la Saintonge ?

Donc, avec le Centre international de la Mer, il ne s’agit pas au sens terrien de la Saintonge maritime, mais de la Saintonge des mers et des océans, des grands vents et des bouts du monde, de celle qui se vit sur le pont des navires et en haut des vergues.

Il suffit de se remémorer les expositions présentées chaque année par le CIM pour s’en convaincre. Ont été au rendez-vous : bateaux vikings, pirates et flibustiers, grande pêche, phares, abysses, art balnéaire, oiseaux marins et d’Audubon, tempêtes, cap Horn, canal de Panama, expéditions polaires, ostréiculture, cartes marines, bande dessinée et j’en passe, sans oublier de citer Conrad, Stevenson, Monfreid, Cendrars (tiens, pas Loti ?!), et même une femme navigatrice qui s’attacha si bien à Oléron : Anita Conti. Au besoin le Centre international de la Mer est partenaire d’expositions qui se tiennent en d’autres lieux, pour évoquer la tempête Xynthia, les villes coloniales ou les ponts transbordeurs.

Mais la grande aventure qu’Emmanuel de Fontainieu accompagna comme membre du bureau de l’association et comme directeur du Centre international de la Mer, c’est bien sûr celle que j’ai mentionnée en préambule : l’Hermione. Est-il besoin de la raconter ? Fontainieu l’a fait et le rappellera sans doute et d’ailleurs son ouvrage L’Hermione, de Rochefort à la gloire américaine a reçu en 2003 le prix Champlain de l’Académie de Saintonge !

Car Emmanuel de Fontainieu est aussi auteur ou directeur d’ouvrages collectifs : citons, par exemple, Les Outils du navigateur avec Richard Texier en 1998, Rochefort et l’estuaire de la Charente, illustré des belles aquarelles de Denis Clavreul en 2008 ; La Mer à l’encre : trois siècles de cartes marines du Moyen Âge au siècle des Lumières en 2010 ; Peurs bleues : prendre la mer à la Renaissance, avec notamment Mickaël Augeron en 2007, etc.

Voilà donc en quelques lignes le rapide portrait de notre nouvel académicien dont on aura compris combien sa présence parmi nous relève d’une évidence et d’une promesse : cette sorte d’axiome glané dans ses pages : « convertir la mémoire à des usages nouveaux. Loin de toute nostalgie, mais toujours à la poursuite du réenchantement des lieux ». Réenchanter la Saintonge, toujours recommencée comme la mer, voilà un beau et fier programme !

Pour ce faire, Emmanuel de Fontainieu embarque aujourd’hui à bord d’une frégate qui a pour nom Académie de Saintonge. Et son équipage le salue chaleureusement et lui crie : « Bienvenu à bord et hissons haut les voiles ! ».

Discours de réponse d’Emmanuel de Fontainieu

Emmanuel de Fontainieu Merci à Alain Quella-Villéger de s’être penché sur mon cas, d’avoir analysé mon itinéraire pour en tirer une trajectoire. Non seulement son texte met un ordre savoureux dans mon passé mais il indique le chemin d’un possible accomplissement.

Donc, ayant évolué l’espace d’une vie du Riesling au Pineau, je serais la victime d’une forme aigüe de « saintongisation »…

Certes, je suis un parachuté. Mon patronyme est provençal : Fontainieu est un coin de Marseille aujourd’hui (Quartiers nord). Mais les tribulations hasardeuses de la vie militaire de mes aïeux ont fixé mes origines directes en Alsace, mon pays d’enfance, fait de sombres forêts et de moyennes montagnes. Mon père et ma mère y sont nés, j’ai fait pareil.

Cependant, depuis longtemps et avec bonheur, j’ai troqué le grès rose et la ligne bleue des Vosges pour les pertuis limoneux de notre littoral, les roselières vibrantes de la Charente, la clarté des ciels de Saintonge.

Mes études ont été prosaïquement « parisiennes » : prépas à Lakanal (à Sceaux), ENS (à Saint Cloud), Sciences Po, Sorbonne, EHESS. À vrai dire, j’ai pas mal tâtonné, glané quelques lauriers mais aussi vécu la frustration de passer mes vingt ans à bûcher d’interminables concours. J’étais un littéraire, sans aucun doute, amoureux de cartes et d’estampes peut-être, mais très désireux de rallier enfin la « vraie vie ». Telle que l’imaginais, celle-ci devait nécessairement se cristalliser dans une forme entrepreneuriale à inventer…

Un peu de recherche universitaire en Histoire sur la Révolution française avec Jean Tulard puis Pierre Nora ; quelques tentatives du côté de l’édition et de la communication… Finalement un chemin s’est ouvert pour moi dans la mise en valeur du patrimoine en partant d’un lieu particulier : le manoir du Clos Lucé, « demeure de Léonard de Vinci à Amboise ». Il y est mort en 1519, parmi tant d’autres passages. Au moment de mon intervention, il n’y avait pas le moindre original de Léonard dans cette maison. Qu’importe, ou plutôt tant mieux car j’ai pu aider l’heureux propriétaire des lieux à inventer et positionner une offre attractive autour de « Léonard de Vinci ingénieur », scénariser un parcours, mettre en scène un contenu avec des mots, des images, quelques objets (les fameuses « machines » de Léonard). Et la fréquentation a décollé. Forts de ce succès, nous avons développé une petite structure de conseil auprès des collectivités territoriales dans un domaine alors nouveau : l’ingénierie culturelle… J’ai pu me frotter à quantité de châteaux, abbayes, évènements et lieux mémoriels, devenant un spécialiste acceptable du « musée sans collection ».

Mais je voudrais évoquer une autre imprégnation : le service militaire… La chance m’a permis de partir en 1984 en Nouvelle Calédonie comme aspirant de Marine. Cette période m’a transformé. Était-ce la situation électrique produite sur « le caillou » par le soulèvement indépendantiste kanak ? L’obstination ritualisée des marins qui aiguisent sans relâche leur capacité à repousser un ennemi qui ne vient jamais ? Ou la beauté du Pacifique Sud ? Je me suis promis alors de revenir vers la mer si la vie m’en offrait la possibilité.

Le hasard fait parfois bien les choses. Une annonce passa un jour à ma portée : « Corderie Royale cherche directeur… » et je pris la direction du Centre International de la Mer, association loi 1901 dont le rôle est de diffuser « l’idée maritime » à partir de la Corderie Royale de Rochefort. Ma femme accepta de me suivre dans cette aventure loin de Paris. Nos trois enfants sont nés à Rochefort.

Selon Erik Orsenna, qui présida très longtemps l’association, « qui n’est pas tombé en mal d’amour pour l’un de ces miracles de cet art majeur, l’architecture, ne mérite pas de voir »… Depuis trente ans, la corderie trône au milieu de ma vie. Est-ce le mystère de sa flottaison ? Sa capacité à tutoyer le vide du marais, autorisant l’échappée mentale vers l’océan ? Le quantum d’imaginaire subsistant de l’ancien arsenal de Colbert, ce rêve d’ingénieur ? Toujours est-il que l’interminable encablure de pierre blanche me parle, m’apaise, me ravit.

Et quelle meilleure manière d’expliquer ce qu’était la vie d’un grand arsenal de Marine au temps de la marine à voile que d’y reconstruire un grand navire chargé d’Histoire, face au public ? L’Hermione, cathédrale de bois et de chanvre, est une autre machine à transporter l’imagination. En tant que secrétaire de l’association Hermione–La Fayette de 1993 à 2016, j’ai pu participer à l’entreprise hors norme de reconstruction de ce bateau, faite d’amitié, de défi (comment faire naviguer aujourd’hui un navire d’hier ?), voire de transgression à vouloir ainsi remonter le temps. Le projet Hermione à Rochefort fut une utopie, une folle entreprise mais pleine de sens, un « voyage de chêne dans la mémoire de la mer » (selon le joli mot d’un visiteur), symbole de départ et d’amarres larguées…

Après une escale rochelaise de quelques années, des responsabilités d’élu au service des musées de La Rochelle, j’ai récemment choisi de me fixer dans le sud du Département, à Cozes.

L’idée d’un imaginaire saintongeais « qui sentirait l’iode » me convient parfaitement, en effet une Saintonge des mers et des bouts du monde…

Deux vers de Paul-Jean Toulet pour conclure  :

« Le rêve de l’homme est semblable
Aux illusions de la mer ».

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