Réception de Christophe Lucet au 18e siège de l’Académie
Discours de présentation par Nicole Bertin
En ce 9 octobre, l’Académie de Saintonge est heureuse d’accueillir Christophe Lucet, journaliste à Sud Ouest et écrivain. À travers son regard, qu’éclaire une belle humanité, apparaissent deux hommes qui lui sont intimement liés et que l’Académie de Saintonge a compté dans ses rangs.
Tout d’abord Pierre-Henri Simon, né à Saint-Fort-sur-Gironde en 1903 et à qui nous rendrons un vibrant hommage, en partenariat avec la Ville de Saintes, en 2023. Intellectuel engagé, historien de la littérature, essayiste, romancier, poète et critique littéraire, il a été élu à l’Académie française en 1966 et reçu sous la Coupole en novembre 1967. « La Saintonge est l’endroit où, mieux qu’ailleurs, je fixe mes souvenirs et mes songes » disait celui qui fut co-fondateur et directeur de l’Académie de Saintonge, concluant par cette phrase touchante peu avant son décès la séance publique du 27 août 1972 tenue à l’Abbaye aux Dames de Saintes. Pour les directeurs et directrice qui lui ont succédé, « il n’existe pas meilleure introduction à ce qu’est l’Académie de Saintonge : une compagnie dédiée au rayonnement de sa région et à l’expression de l’attachement qu’on lui porte ». Pierre Henri Simon, nous en reparlerons prochainement grâce à l’exposition qui se met en place. Parmi ses nombreux engagements, sa prise de position contre la torture, écrite à une époque – celle de la guerre d’Algérie – où il était osé d’aborder le sujet, ne manquera pas d’intéresser le public. Fait prisonnier en 1940, il fonda avec ses camarades d’infortune en Allemagne une petite université. Il y prononça notamment une conférence Ma Saintonge et rédigea un roman d’analyse psychologique L’Affût, paru aux éditions du Seuil.
Le père de Christophe, Jean-Louis Lucet, fut au cours de sa carrière diplomatique ambassadeur de France au Sénégal, en Israël, en Italie et auprès du Saint-Siège. Ancien vice-président du Secours catholique et ancien président de France-Italie, il participe au conseil d’administration de l’Œuvre d’Orient et fait partie de l’ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Il est membre honoraire de l’Académie de Saintonge et nous le remercions d’avoir travaillé parmi nous. Gendre de Pierre-Henri Simon, il a valorisé l’œuvre de son beau-père, pour qui il avait une grande affection, par des expositions, colloques, conférences et présentations d’ouvrages. « Mon père a découvert la Saintonge qu’il a épousée en même temps que ma mère Jacqueline, surnommée Jacotte », souligne Christophe Lucet.
Celui-ci est le digne héritier de cette lignée empreinte d’humanisme, talentueuse, soucieuse de la transmission de la connaissance, toujours prête à s’interroger sur le monde qui l’entoure. Enfant, son esprit s’est ouvert au gré des postes occupés par son père à l’étranger. Sa voie est bientôt tracée. Après avoir suivi des études de lettres, il intègre à Paris le Centre de formation des journalistes. Le voici en poste à Aden au Yémen du Sud, détaché auprès de l’ambassade de France en tant que conseiller culturel, après avoir travaillé pour Radio France internationale. En 1986, il intègre les rangs du journal Sud-Ouest aux agences de Périgueux, Agen, La Rochelle, Bordeaux. Il est nommé à Sud-Ouest Dimanche en 1999. Éditorialiste depuis 2010, il a rejoint la rédaction générale où il est responsable de la rubrique « international » de Sud-Ouest. « La géopolitique m’intéresse. Le Moyen-Orient, les relations Ouest-Est, la Chine, le conflit en Ukraine », explique-t-il. Il est aussi l’auteur de plusieurs préfaces dont l’une consacrée à la réédition du roman de Pierre Henri Simon Elsinfor par les éditions du Croît Vif.
De nombreux sujets retiennent son attention comme la littérature ou la poésie. Il a rejoint le conseil d’administration du Festival international du film d’histoire de Pessac organisé depuis 1989 autour d’une sélection thématique. L’édition 2022 se déroulera en novembre sur le thème Masculin-féminin, toute une histoire. Un vaste programme en effet !
Christophe Lucet occupera le 18e siège de l’Académie de Saintonge, succédant à Jean Combes : « je suis heureux de faire partie de ce réseau académique composé de personnalités venant d’horizons différents, qui ont du vécu et sont ancrées, comme moi, en Saintonge » avoue-t-il. Bienvenue à vous, Christophe Lucet !
Discours de réponse de Christophe Lucet
Mesdames et messieurs les académiciens, chers ami(e)s,
en qualité de nouveau membre de cette belle institution, j’ai à vous adresser ces quelques mots pour vous remercier de m’accueillir parmi vous. J’en suis heureux, honoré, et conscient des devoirs qu’implique la noble tâche de mettre en valeur les traditions, le patrimoine, la culture de notre Saintonge au sens large, mais aussi l’esprit d’entreprise et d’innovation des femmes et des hommes qui la font vivre et la conduisent vers l’avenir.
Et puisque j’ai été appelé pour prendre sa suite, c’est bien entendu de Jean Combes que je veux vous parler en premier. Sa disparition il y a quelques mois nous a attristés, tant il avait conquis les esprits et les coeurs depuis son entrée à l’Académie en 2003. Et s’asseoir sur le 18e siège qui était celui de l’ancien maire de Saint-Jean-d’Angély donne le sentiment de s’abriter sous les ramures d’un grand arbre chargé de fruits.
Ces fruits se nomment amour de l’école, service de la République, sens de l’action publique, goût de la culture, connaissance intime du pays charentais et de son histoire. Il était Aveyronnais de naissance mais Jean Combes était devenu incollable sur les particularités de son département d’adoption. Il en avait une vision large, s’intéressant aussi bien à la période révolutionnaire qu’à la Seconde guerre mondiale, aux paysages qu’aux villes dont il édita des guides.
Enseignant dans l’âme, promu à l’Inspection de l’Éducation nationale, il était un des meilleurs connaisseurs de l’histoire de l’institution scolaire. L’historien était un homme de terrain, passionné de pédagogie, une qualité bien utile pour réussir dans la vie politique locale, qu’il s’agisse de sa chère cité angérienne ou du Conseil régional où il a siégé plusieurs années.
Pétri d’une solide culture, Jean Combes nous laisse le souvenir d’un homme de bonté, d’enthousiasme, d’amitié, ayant noué parmi vous, chères académiciennes et chers académiciens, des liens d’autant plus profonds qu’ils préexistaient à son élection. Et je suis heureux que mon prédécesseur à ce siège ait pu connaître mon grand-père Pierre-Henri Simon, mort il y a tout juste 50 ans, en septembre 1972.
Je veux, bien entendu, rendre ici hommage à cet aïeul illustre qui, avant de siéger à l’Académie française à partir de 1966, fit partie dix ans plus tôt des fondateurs de celle de Saintonge avec le chanoine Tonnellier, participant activement à ses travaux en dépit de ses lourdes charges de professeur et de critique. Je sais combien il a aimé cet effort collectif, ces rencontres, ces amitiés, ce retour régulier au pays natal où il puisait la sève de ses romans et de sa poésie.
Un demi siècle après sa disparition, 120 ans après sa naissance et soixante-cinq après la naissance de notre Académie, les horloges sont alignées pour que nous lui rendions hommage sous forme d’une exposition thématique qui sera présentée au printemps et à l’été 2023, ici en Saintonge. Nous y montrerons que bien des sujets qui jalonnent notre actualité – le service de la cité et du pays, les drames de la guerre, les déplacements de population, la lutte contre l’injustice – ont été au coeur de son engagement de citoyen et d’intellectuel chrétien.
Chez lui, l’universel et le particulier n’étaient pas séparés mais en dialogue fécond dans l’esprit d’une Saintonge fière et ouverte sur le monde. Et pour poursuivre brièvement dans le registre filial, permettez-moi de saluer le travail de mon père Jean-Louis Lucet, lui aussi membre de notre académie, et de ma mère Jacotte, décédée récemment, pour entretenir la mémoire de leur beau-père et père, et transmettre son héritage intellectuel et moral. Je pense en particulier aux préfaces et postfaces que mon père, avec son talent de critique littéraire, a consacrés à plusieurs ouvrages de Pierre-Henri Simon réédités il y a quelques années par le Croît vif.
Me voici donc parmi vous dans le sillage de ces deux figures familiales. On m’a assuré qu’aucun népotisme n’avait présidé au choix de me faire membre de l’Académie de Saintonge. Le croire serait faire injure à votre discernement et j’accepte volontiers que mon propre parcours de journaliste aux curiosités diverses ait pu retenir votre intérêt. Vivant à Bordeaux depuis plus de trente ans à faible distance de notre maison familiale de Saint-Fort sur Gironde, je tâche à la place qui est la mienne – éditorialiste à Sud Ouest – de cultiver l’attachement au lieu et l’esprit d’ouverture.
J’y suis aidé aussi bien par la culture familiale, ouverte sur le vaste monde, que par le tempérament saintongeais, qui oscille toujours entre le proche et le lointain, les espaces familiers et les horizons désirables. Dans mon journal, j’ai toujours trouvé autant de plaisir à réaliser un reportage à l’étranger que dans le Sud Ouest, autant de plaisir à animer notre réseau de correspondants dans le monde que d’alimenter les pages régionales et locales.
Au fil des ans, j’ai pris le temps de sortir du périmètre des obligations quotidiennes, et souvent grâce à elles puisqu’elles me désignaient des champs nouveaux à cultiver. Histoire et préhistoire, rencontres avec des artistes et des écrivains, goût pour la musique : autant de violons d’Ingres qui m’ont permis de suivre à ma façon ce conseil paternel lorsque j’ai choisi ma profession : « le journalisme est un beau métier à condition d’en sortir ».
Je n’en suis pas sorti parce qu’il est un gage de liberté, un espace de rencontres et une incitation à bien écrire. Je n’oublie pas que Pierre-Henri Simon fut souvent un chroniqueur au meilleur sens du terme. Et j’ai toujours vu mon autre grand-père et mon père, tous deux diplomates, côtoyer des journalistes et des écrivains. Nourri par ces exemples, content de contribuer à mon tour à des travaux utiles, je vous remercie de m’accueillir.
Merci de votre attention.