Michel Boujut pour l’ensemble de son œuvre

Rapport de François Julien-Labruyère

En 1951, vous aviez onze ans et déjà vous baigniez dans le plus beau bain qui soit, celui de la Tour de feu, cette célèbre revue poétique créée par votre père qui faisait de Jarnac un haut lieu de la création littéraire. Ce feu, beaucoup plus tard, vous l’entretiendrez en lui ajoutant une nouvelle flamme, celle de votre passion pour les symboles de la région. On vous verra publier plusieurs romans où votre enfance à Jarnac tient un rôle central car elle préfigure votre carrière de critique cinématographique. Je songe surtout à une page où vous évoquez les fantasmes que suscite en vous l’ouvreuse du cinéma de Jarnac… Je n’en dis pas plus ! On vous verra aussi produire une chronique hebdomadaire dans Charente-Libre où vous faites preuve à la fois d’un sens aigu du détail significatif de notre temps et d’une remarquable liberté d’esprit qui, souvent, en agace plus d’un mais fait de vous un agitateur d’opinion utile à souligner les idées reçues qui nous enserrent. Je sais que vous n’aimez guère l’expression « pour l’ensemble de votre œuvre » car vous voyez en elle une sorte de conclusion à votre parcours d’écriture. Je reconnais là votre angoisse ; mais ce n’est nullement ce que sous-entend l’Académie en vous attribuant ce prix Chapsal ; bien au contraire… Voyez en lui une borne d’étape et non une fin de parcours. Si j’ai évoqué 1951, ce n’est pas tout à fait par hasard. Cette année-là, Claude Roy, l’un des plus grands poètes contemporains, invitait Paul Strand, un des plus grands photographes contemporains, à passer l’été à Gondeville, près de Jarnac. Il en résulta un véritable livre-culte, La France de profil, où se mariaient harmonieusement les textes de Roy et les images de Strand. Parmi elles, l’une fit le tour du monde et est aujourd’hui considérée comme l’un des chefs d’œuvre absolus de toute l’histoire de la photographie. Il s’agit du très fameux Jeune Homme en colère. Pour moi, le livre que vous avez écrit et le film que vous avez tourné à son sujet restent un des points d’orgue de « l’ensemble de votre œuvre ». Officiellement, jamais vous ne vous êtes identifié à ce jeune homme en colère, mais permettez qu’on le fasse à votre place : continuez d’être un éternel jeune homme en colère, c’est le sens de ce prix Chapsal que nous sommes très heureux de vous attribuer.

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