Compte rendu des rencontres Sciences Po Bordeaux – Sud-Ouest
Autour du patrimoine, avec l’Académie de Saintonge
Saintes, l’Abbaye aux Dames – le 20 février 2020
L’I.E. P. de Bordeaux organise tous les ans, avec le quotidien Sud-Ouest, une dizaine de rendez-vous, dont un décentralisé, afin de permettre aux étudiants qui ne connaissent pas la région de la découvrir. Cette année le choix s’est porté sur la Charente-Maritime, et plus particulièrement le sud du département.
Le matin, la première visite était pour les sites du Fa, port de Saintes dans l’Antiquité gallo-romaine, et de Barzan. L’étape suivante était Royan. Comment la ville s’était relevée après les bombardement destructeurs, comment elle avait été reconstruite, et les conditions de la résurrection. Ce qui amenait la question de la défense du patrimoine.
Pour Christophe Lucet, rédacteur en chef de Sud-Ouest et Yves Déloye, directeur de l’IEP, le meilleur interlocuteur local dans l’examen de cette problématique paraissait être l’Académie de Saintonge.
Présentation des invités :
- Marie-Dominique Montel, réalisatrice de documentaires et directrice de l’Académie
- Christine Sebert-Badois, propriétaire du château de La Roche Courbon, académicienne
- Didier Néraudeau, paléontologue, spécialiste des ères jurassique et crétacé « découvreur » de plusieurs sites de fossiles remarquables dans la région, académicien
- Alain Quella-Villéger, biographe et spécialiste de l’œuvre de Pierre Loti, académicien
- Odile Pradem-Faure, directrice de l’Abbaye aux Dames, académicienne honoraire
Pourquoi la Saintonge est-elle rayonnante ?
(Réponse des académiciens)
C’est une région côtière où il y a toujours eu des mouvements d’arrivée et de départ. On y est tourné vers ce qui se passe ailleurs, on part et l’on revient : Champlain, Courbet, Loti…
Chaque académicien raconte sa relation particulière avec le territoire : familiale, professionnelle, musicale, avec les monuments, le sol, le terroir, la langue et l’histoire. Avec la couleur particulière de la pierre et la transparence de la lumière.
Sur ce qu’apportent la terre et la mer.
On s’est toujours déplacé d’est en ouest, pour aller vers l’océan et vers l’intérieur. L’axe nord-sud étant récent. C’est aussi la présence du fleuve Charente qui était une importante voie de communication pour les hommes et les marchandises, depuis le haut du pays vers la mer, puis les ports étrangers. Les idées circulaient aussi ainsi.
À Odile Pradem Faure, sur les relations entre Saintes, Royan et La Rochelle
Pas de lien direct. Mais des complémentarités pour les festivals lors desquels des concerts et des rencontres sont organisés.
À Didier Néraudeau, sur les grands sites locaux d’où ont été exhumés des fossiles de dinosaures. Le grand public manifestant aujourd’hui une curiosité croissante pour ces animaux.
Il se trouve que, par des hasards géologiques, les couches contenant les fossiles sont accessibles dans notre région, alors qu’elles sont profondément enfouies ailleurs. Et jusqu’à présent elles ont été préservées des fouilles sauvages. La chance y est pour beaucoup.
Sur l’importance de la langue.
Réponse difficile. Le rayonnement du patois charentais est limité. Nous sommes à la frontière entre la langue d’oc et la langue d’oil. Dans la région il y des spécialistes qui ne sont pas d’accord entre eux. Certains mots se retrouvent aujourd’hui dans le français parlé localement. Mais ce français parlé est encore un beau français classique.
La région redoute-t-elle une montée des eaux annoncée comme inéluctable par certains ?
Depuis des dizaines de millions d’années les eaux sont toujours montées puis se sont retirées, avec une amplitude variable. Des centaines d’espèces (présentes bien avant l’homme) ont disparu de ce fait. On en trouve dans les couches explorées. Au XIXe siècle on les nomme souvent du nom de la commune où elles ont été découvertes ou du nom du découvreur.
Ces flux reflux continueront. Et ce dont est sûr, c’est que l’espèce humaine s’éteindra un jour.
Pourquoi avoir choisi pour Royan une architecture moderne ?
Royan est devenue une ville nouvelle, tout comme Rochefort a été une ville nouvelle du XVIIIe siècle.
L’urbaniste et un choix politique. Il y avait besoin de logements pour la population et pour les futurs vacanciers nécessitant l’urbanisation du front de mer.
La spéculation immobilière des années 70 a parfois continué l’œuvre de destruction des bombardements.
DEUXIÈME PARTIE DU DÉBAT : culture et patrimoine, quels financements ?
L’Académie décerne chaque année des prix distinguant ceux qui œuvrent pour la vitalité de la culture régionale. Ces prix récompensent de acteurs dans tous domaines : restaurateurs de bâtiments, écrivains, musiciens, scientifiques contribuant au rayonnement de la Saintonge par leur personnalité et leurs actions, dans la région, en France et aussi dans le monde. Car les gens bougent et voyagent.
Sur la propriété du patrimoine et son entretien.
En France, la moitié du patrimoine bâti est privé. Les propriétaires doivent raisonner à moyen et long terme, mais aussi à court terme, tout simplement pour vivre, et ils ont une obligation de résultat annuelle tout en travaillant pour la génération d’après. Les propriétaires actuels sont héritiers de ce qu’ont fait leurs parents et grands-parents.
Il y a aussi le patrimoine naturel. Une loi a été votée en 2015, et des inventaires ont été menés. En Saintonge, une centaine de sites naturels ont été ainsi classés. Le classement n’est qu’un point de départ, ensuite il faut de l’argent pour protéger ces lieux tout en les faisant connaître.
Ils ne sont pas signalés, et, le paradoxe est, qu’en les signalant, ou en les mettant en valeur, on risque dégradations et pillages. Exemple à Saintes avec des couches géologiques du santonien. Uniques et ignorées.
Autre problème, crucial, celui de l’éducation. On ne protège bien que ce que l’on connaît, c’est à dire ce que l’on nous a appris : c’est l’ignorance qui mène aux dégradations. L’école, les parents, tous les étages de la société devraient pouvoir faire découvrir le patrimoine, au sens le plus large possible, aux jeunes, et leur donner des notions de base. Et aussi expliquer qu’il s’agit de l’héritage commun.
Quelles alternatives au manque de financement public ?
L’imagination et l’énergie !
À La Roche Courbon les décisions sont prises de manière collégiale. Il faut savoir se mettre à la portée de tous les publics et se servir d’un monument comme d’une leçon de choses afin qu’ils se souviennent des fondamentaux. Il faut réussir à faire aimer le monument du public. En 2019 : 35 000 visiteurs, et l’agrément de l’Education Nationale.
Le château est ouvert au public depuis 70 ans.
Pour attirer les financements il faut faire partie de réseaux, de regroupements de propriétaires comme La Demeure Historique regroupant trois mille propriétaires. Il faut aussi rechercher des mécènes parmi les entreprises et les collectivités publiques.
Que penser du Loto du patrimoine ?
À Rochefort, la visite de son inventeur à la Maison de Pierre Loti a permis de mobiliser les énergies, et les collectivités ont suivi le mouvement. Les 400 000 euros sont consacrés, comme prévu, à la restauration du plafond de la mosquée.
Entretenir un château est difficile, la preuve en est qu’il y a, en ce moment, mille châteaux, de toutes tailles, à vendre en France.
Il est suggéré que, pour le prix d’un appartement ou d’une maison banale, on peut acquérir un monument historique pour le même prix ! Et l’on fera œuvre de préservation.
Pour mémoire, le Loto du patrimoine a aussi attribué des fonds à l’amphithéatre gallo-romain de Saintes.
Qu’apportent les documentaires au patrimoine régional ?
Ils permettent de le faire connaître plus largement, de susciter la curiosité.
En ce qui concerne les sites, musées, bâtiments… le problème est tout de même que, par rapport à d’autres pays européens, la France a trop de patrimoine, rendant quasi impossible sa mise ou remise en valeur.
En région les petits musées ont du mal à survivre. L’Espagne est un exemple à suivre avec des musées de très haut niveau.
TROISIÈME PARTIE DU DÉBAT
Comment fonctionne l’Académie ?
Réponses de Marie-Dominique Montel et des académiciens.
Y a-t-il des échanges entre le festival de musique de Saintes et Le violon sur sable à Royan ?
La réponse est : peu de perméabilité, pas de concurrence mais partage du public. Les deux manifestations se succèdent, donc il n’y a pas de télescopage, mais complémentarité.
Questions et réponses sur le musée de La Roche Courbon, le Paléosite, le personnage de Pierre Loti, l’origine du nom « cagouille » la différence entre le cognac et le pineau.
Fin de la séance aux environs de 17h30.
Photos : Christine DE PONCHALON