Panorama de l’année culturelle Saintongeaise en 2022
Discours d’ouverture des Prix de l’Académie de Saintonge 2022 : Marie-Dominique Montel
Directrice de l’Académie de Saintonge
Chers collègues, Mesdames et Messieurs les élus, les représentants des institutions culturelles et de la presse, mesdames et messieurs les lauréats, chers amis.
Je voudrais vous parler aujourd’hui de M. Gaudin, non pas Henri Gaudin, l’architecte, Grand Prix de l’Académie en 2020, mais Gaudin l’inventeur, né à Saintes 200 ans plus tôt. Je voudrais vous parler de Marc-Antoine Gaudin, et pendant que j’y suis, de toute sa famille. J’ai fait leur connaissance, au musée d’Orsay, dans l’exposition intitulée Enfin le cinéma et consacrée aux courants artistiques et techniques qui ont annoncé la naissance du 7e art. Quand Monet, Caillebotte ou Degas se passionnaient pour des sujets presqu’impossibles à représenter en peinture, le temps qui passe, le vent, le mouvement. Ils cherchaient à dépasser les limites de l’image fixe et plate. Et ils n’étaient pas les seuls à se pencher sur la question. Un mur entier (un mur de musée de cinq mètres sur quatre !) reproduisait la photo d’une famille du Second empire en train de regarder, dans d’étranges appareils conçus a cet effet, des vues stéréoscopiques. Cette famille, c’est la famille Gaudin, des Saintais assez extraordinaires, des pionniers de la photographie.
Marc Antoine Gaudin est né le 16 germinal an 12 (5 avril 1804) rue des Récollets à Saintes où son père tenait boutique. Marc Antoine est l’ainé de trois frères qui vont travailler ensemble. Lui, c’est le savant. Il brevète plusieurs inventions en chimie, en optique. Il est parmi les premiers, à fabriquer des daguerréotypes, ces images sans négatif qui s’impressionnent directement sur une plaque d’argent polie comme un miroir.
Alexis Gaudin, son jeune frère, a 12 ans de moins, il est né à Saintes lui aussi, en 1816. Marc Antoine le prend sous son aile, l’initie à la technique et ils créent ensemble à Paris l’un des premiers ateliers de photographie. On est en 1843 et ils ont vite assez de succès pour ouvrir une succursale à Londres.
Le public s’enthousiasme pour la photographie qui a bientôt son journal spécialisé, La Lumière. Alexis Gaudin en est le propriétaire. Marc Antoine, le savant, est le rédacteur en chef et les ventes s’envolent. Marc Antoine publie un livre formidable toujours très recherché (et réédité aujourd’hui par la BNF) le Vadémécum du photographe, abrégé du daguerréotype et de la photographie sur papier.
Sous le Second Empire, leur 3e frère les rejoint, il s’appelle Charles (en photo avec Alexis), c’est un gamin -il est né en 1825 à Saintes- mais il a un grand sens des affaires et du goût du public.
Tout Paris se presse dans leur magasin. On y trouve des appareils photo, des plaques de verre, des visionneuses et… des photos. Des photos stéréos qui recréent l’illusion du relief, de la profondeur. C’est la grande spécialité des Gaudin. Alexis dirige la fabrication. Plus de 5 000 vues stéréo en noir et blanc ou colorées du Paris d’Haussmann et bientôt du monde entier sont proposées aux clients et aux simples curieux, avides de voyager en photos au moment où le chemin de fer généralise le goût des excursions et du tourisme.
Les Gaudin font partie de ces pionniers qui nous ont appris à porter sur le monde un nouveau regard, avec cette passion pour la perspective que les peintres de la renaissance avaient résolue à leur façon et qui, sous le nom de troisième dimension, devient leur marque de fabrique. Ils sont aussi en phase avec une autre curiosité bien de leur temps. Celle qui pousse les limonadiers à créer des terrasses devant leurs cafés pour que le client regarde et se laisse regarder. On va dans l’atelier du photographe voir à quoi ressemblent les célébrités. Comme la photo devient accessible, monsieur-tout-le-monde peut aussi se faire immortaliser. On découvre sa propre apparence, on apprend à prendre la pose. Pour une photo stéréo, les Gaudin prenaient en réalité deux clichés identiques en modifiant très légèrement la position de l’appareil. Avec le temps de pose nécessaire, cela veut dire que le modèle ne bouge pas d’un cil pendant la première photo, ne bouge toujours pas pendant que l’on déplace l’appareil et reste encore immobile pour la deuxième photo. Inutile de dire qu’il devait y avoir des ratés !
Les Gaudin, avant même le cinéma, nous ont aussi appris à cadrer, à découper une fenêtre dans la réalité qui nous entoure, en isolant ces scènes de la vie de tous les jours, qui seront 30 ans plus tard les sujets des premiers films des frères Lumière.
Ils ont été enfin des pionniers de la mise en scène. Car ils sont passés du portrait à des scènes de groupe en mouvement où tout le monde devait rester figé au milieu d’un geste. Sinon une partie de l’image était floue. Imaginez le travail ! C’est probablement la raison pour laquelle ils utilisaient les membres de leur propre famille comme modèles, parce qu’ils étaient entraînés. Ce qui nous donne le plaisir de retrouver sur leurs photos, les frères Gaudin eux mêmes, Marc- Antoine, Alexis et Charles mais aussi mesdames et mesdemoiselles Gaudin qui étaient mises à contribution.
Un très beau livre leur est consacré par l’historien de la photo Denis Pellerin. Ils font partie de ces « Charentais que le monde nous envie » comme les lauréats de cette année que nous allons découvrir et applaudir dans un instant. Le palmarès sera suivi d’un événement important : la réception officielle de deux nouveaux académiciens, Emmanuel de Fontainieu et Christophe Lucet. Et comme cela se faisait dans la famille Gaudin, nous les avons mis immédiatement à contribution et ils participeront dès aujourd’hui à la remise des prix.