Réception de Christian Vernou au 11e siège de l’Académie
Discours de présentation par Alain Michaud
Bienvenue Christian ; et doublement bienvenue ! D’abord, bienvenue dans notre prestigieuse Académie qui prolonge celle de Bourgogne à laquelle tu as appartenu, et bienvenue car te voilà enfin retourné dans cette belle Saintonge qui t’a vu naître, et où nous sommes heureux de te revoir : tu es en effet attaché à ce pays par ta jeunesse rurale, qui t’a profondément marqué, enraciné, comme tu l’écris toi-même, dans les valeurs familiales de ta ferme de Julienne, au joli nom de fleur, où tu as connu le rythme des saisons, des cultures et des récoltes. Et toujours attaché à cette terre, la vie de la ferme ayant disparu, par l’archéologie et les fouilles qui ont été le fil conducteur de ta vie.
Après de solides études, le déclic de l’histoire s’est produit en 1978 quand tu as été pressenti par Louis Maurin, alors conservateur du musée archéologique de Saintes pour ce que tu as appelé « un job d’été » : être le gardien et le guide d’une exposition sur l’Âge du bronze en Charente. Tu avais mis le pied à l’étrier avant d’entreprendre, sous sa responsabilité et sous l’égide d’un cadre associatif, celui de la vieille mais dynamique Société d’archéologie de la Charente-Maritime, tout une série de fouilles que tu as enchaînées avec l’enthousiasme de ta jeunesse entre 1981 et 1987 : citons en désordre celle de la bibliothèque centrale de prêt avec le dégagement d’une voie antique et de ses trottoirs à portiques, celle d’un puits gallo-romain aux Ateliers municipaux, le dégagement du cloître disparu de l’Abbaye aux Dames, qui a permis la réapparition de rares structures sous-jacentes du haut Moyen Âge, vestiges possibles de l’ancienne abbaye Saint- Pallais, de cet îlot antique rue Port-La Rousselle, et de cette fouille de l’école Émile Combes, où, sous les structures d’une demeure gallo-romaine, tu as identifié — comme rue Port La Rousselle, d’ailleurs —, des vestiges rares et précieux remontant à la Protohistoire.
Parallèlement, tu as poursuivi le cursus universitaire nécessaire à la poursuite de ta passion et de tes ambitions d’archéologue, licence, maîtrise, puis diplôme d’études approfondies d’histoire et civilisation de l’Antiquité, ce qui t’a permis d’être admis comme conservateur du musée de Cognac. Tu en célèbres d’ailleurs le centenaire en 1992, et tu y organises également en 1991 le congrès national de la céramique antique en Gaule. Cela ne t’empêche nullement de poursuivre tes recherches sur le terrain : à la villa gallo-romaine des Coulées, commune de Boutiers, ou à la ferme de la Haute Sarrazine en 1987, dont tu dégages les antiques cuves de réception du moût, ancrant un peu plus notre passé saintongeais dans son identité viticole. Cependant, tu trouves encore le temps de diriger en 1993 l’ouvrage la Carte archéologique de la Gaule 16 qui fait le bilan de toutes les découvertes antiques du département de la Charente.
Mais ce qui t’attire surtout, c’est le passé prestigieux de celle qui fut peut-être la première capitale de l’Aquitaine, la plus que bimillénaire Mediolanum. Tu arrives donc, l’année suivante, à la tête du musée archéologique de la ville. Infatigable, tu deviens, de 1998 à 2002, Conservateur départemental du patrimoine de la Charente, dont tu portes l’ambitieux schéma de l’archéologie. Tes centres d’intérêt te poussent également vers notre beau fleuve, à travers la maison des gabarriers de Saint-Simon et le musée-moulin de Fleurac. Dans cette optique, tu mènes à bien avec ton équipe le projet de reconstruction d’une gabarre du XVIIIe siècle, La Renaissance, traditionnel bateau fluvial charentais, mis à l’eau dans l’été 2000.
Autres temps, autres cieux : la Charente étant peut-être trop étroite pour toi (ce que je dis sans humeur de Saintongeais), ou peut être encore attirance viticole ? Te voilà installé en Bourgogne, à Dijon, pour y exercer pendant quinze ans la direction et la conservation du musée archéologique : avec, entre autres, exposées sous les croisées d’ogives du dortoir de la prestigieuse abbaye Saint Bénigne, les admirables collections lapidaires antiques et médiévales dont tu reprends la muséographie et la présentation, et que mon épouse et moi, avons eu le grand plaisir de visiter et de partager avec toi (ainsi qu’une bonne bouteille du cru le soir au restaurant !)
J’abrège pour ne pas fatiguer ta modestie : à Dijon encore, ce sont une dizaine d’expositions temporaires, des charges de cours à l’université de Bourgogne ; et parallèlement, outre la participation à la Revue archéologique de l’Est, des publications annuelles dans la presse spécialisée d’Archéologia. Et puis, bon sang ne saurait mentir : tu retournes à ton amour des fouilles en effectuant des sondages dans une des salles du musée, ancien chapitre du monastère Saint-Bénigne.
Que te restait-il pour parfaire ta vocation d’archéologue dans ton tour de France ? Grenoble et la restauration du patrimoine, c’est fait : te voilà en 2016 chargé par le ministère de la Culture, de la direction scientifique et culturelle du laboratoire ARC-Nucléart, spécialisé dans la conservation du patrimoine fragile et rare du territoire national : là, plus de fouilles, mais des sculptures en bois polychromes, des momies, des objets préhistoriques en bois gorgés d’eau à préserver coûte que coûte. Dans ce laboratoire, où œuvre une équipe pluridisciplinaire de restaurateurs, ingénieurs chimistes et physiciens nucléaires, (et dont tu vas certainement nous parler !), ce sont alors les travaux de sauvegarde et de conservation du quotidien, ou des sauvetages célèbres et spectaculaires, telle la restauration exemplaire du grand bateau antique d’Arles, repêché dans le Rhône et qui fait aujourd’hui la fierté de ce musée.
On pourrait croire que Christian Vernou, enfin à la retraite, mériterait de cultiver son jardin (mais sans y fouiller, le pourrait-il ?) ou de s’adonner au bricolage ? Las ! De retour dans sa Saintonge natale, on le retrouve encore motivé par l’étude, la conservation du patrimoine local, en liaison notamment avec la Société d’archéologie de la Charente-Maritime avec laquelle il a repris contact et qui est toute acquise à ce sympathique et souriant chercheur. Un dernier mot et je m’arrêterai là : le Conseil départemental ne l’a-t’il pas déjà pressenti pour superviser le sauvetage et la restauration d’une embarcation de l’Antiquité tardive, ensevelie dans le fleuve à Courbiac, tout près de Saintes ? Cela donnerait presque le tournis !
Comment croire que notre Académie ne puisse s’enorgueillir d’avoir accueilli dans ses rangs un tel passionné ? Il a redonné à notre histoire et notre archéologie régionale et nationale, qu’il a tellement participé à faire connaître, enrichir et à faire aimer, une part non négligeable de son passé noyé dans les eaux ou enfoui dans le sol.
Discours de réponse de Christian Vernou
Merci aux membres de l’Académie de Saintonge de m’avoir élu parmi cette compagnie qui nous est chère. D’abord, merci à mon parrain académique, Alain Michaud, un ami de près de quarante ans, avec lequel je partage le goût pour l’Histoire et pour sa disciple sœur : l’Archéologie. Mais aussi, ce que l’on imagine moins, celui de la guitare qui nous réunissait quelquefois autour d’une partition d’Henri Salvador, nous entraînant vers les lointains de Syracuse…
L’archéologie fut sûrement la belle découverte de ma vie ; celle qui ne cessait de m’émerveiller par le caractère inattendu des découvertes matérielles qu’elle nous offre parfois, tout en me permettant un ancrage terrien, celle du terroir et des ancêtres auxquels je suis tant attaché depuis mes plus jeunes années ; Alain l’a rappelé.
Merci aussi à Bernard Mounier à qui j’emprunte le 11e siège. Je le connaissais peu mais l’importance de ses réalisations audiovisuelles, notamment celles de la chaîne régionale dont il fit un phare de l’identité locale, m’était bien connue. Quant à celles de la maison de la Culture de La Rochelle, elles épataient mon jeune destin indécis. Suivant les préceptes de mon ancien, sait-on que mes premières impulsions étudiantes auraient été vers le métier rêvé de reporter- cameraman ? Me voilà en juin 1976 à Talence, postulant à l’entrée de l’IUT de Journalisme. Plus tard, j’envisageais d’accéder à l’école Louis Lumière afin de m’initier aux principes audiovisuels. Une conseillère d’éducation du CIO de Cognac, me susurra « Faites donc Histoire de l’art ; ce sera très formateur pour vous ». Tope là ! Ce fut l’université de Bordeaux III, où Archéologie et Histoire de l’Art m’attendaient. Vous l’avez deviné, je n’ai plus jamais changé de voie, l’Archéologie m’a séduit et par l’intermédiaire d’un de mes maîtres, Louis Maurin, autre académicien bien apprécié ici, j’allais prendre racine à Saintes, la ville romaine du Centre-Ouest.
Saintes, où en 1982, les « radios libres » battaient leur plein ; je me jetais alors à corps perdu dans ce média nouveau et excitant. La musique était ma seconde passion, celle qui dut ralentir ma progression scolaire. Avoir 17 ans dans les années 70, c’était imperceptiblement, la tentation des groupes rocks, le goût des excentricités anglaises. D’ailleurs l’Angleterre m’ouvrit ses bras en 1975 et j’en fus transformé. À Bordeaux, où mes études se poursuivaient, je découvris les joies d’un groupe de jazz, passant de la guitare à la basse électriques. Puis une année, ce fut pour moi la découverte de la musique baroque, intégrant alors l’Orchestre universitaire de Bordeaux où, avec le clavecin, je m’exerçais au continuo ; du Scarlatti et ses envolées perchées à la trompette… que de souvenirs !
Le second point qui me rapproche de Bernard Mounier est notre attachement profond pour Talmont. Il en fut le maire à compter de 1995 et notre dette est grande envers lui : sauvegarde du site, mise en valeur du village, création du petit musée. Lorsque nous étions jeunes, nous aimions nous y rendre en moto depuis le Cognaçais. Nous laissions nos engins près d’un appentis et sur les murs d’un espace d’accueil, apparaissaient les photographies aériennes de Jacques Dassié, autre académicien auquel il m’est agréable de rendre hommage. Les indices de ses prospections révélaient un site exceptionnel qui fut exploré quelques décennies plus tard : le Barzan antique. Merci Bernard d’avoir su conserver l’esprit de ce village de Saintonge. C’est bien à Talmont que le slogan départemental se décline le mieux : entre « terre et mer ».
Quant à mon parcours professionnel, Alain Michaud a beaucoup dit, n’insistons pas. Précisons peut-être que mon domaine de prédilection demeure les Antiquités Nationales, c’est à dire, les traces de l’homme que l’on rencontre dans l’Hexagone. Bien entendu, j’ai été tenté d’aller fouiller à l’étranger : la Grèce, l’Égypte, que de doux mirages. Dans ma phase d’apprentissage, j’ai connu le sud du Portugal, l’Alentejo et la villa lusitano-romaine de Saõ Cucufate, l’étude des céramiques antiques de Colchester en Angleterre avec mon ami Robin, ou encore, le site côtier du Loron, en Croatie. Mais, non, je ne ferai pas ma carrière à l’étranger, il y avait tant à découvrir en France et notamment, dans la terre de Saintonge.
Mon attirance est pour le fleuve Charente ; il a livré de rares vestiges d’embarcations de toutes époques. Au musée de Cognac, j’avais pu mettre en exergue la pirogue néolithique de Bourg-Charente. Comme conservateur des musées de Saintes, j’ai accompagné les recherches subaquatiques d’Eric Rieth ; il nous a fait connaître le chaland d’Orlac du début du XIe s. ou le caboteur fluvio-maritime de Port-Berteau, daté des VIIe-VIIIe s. Plus tard, dirigeant le Service du Patrimoine du département de la Charente, j’ai encouragé les prospections des plongeurs du CNRAS, alors dirigé par Patrick Granjean. Plus récemment, Saintes s’est enorgueillie de la découverte de deux épaves de l’Antiquité tardive, sur le site de Courbiac. Bien entendu, je vais suivre l’aventure de son étude par Jonathan Letuppe et peut-être, de son prélèvement. Pour cela, l’expérience dernière de ma carrière au sein de l’Atelier grenoblois ARC-Nucléart, sera fort précieuse car de nombreux écueils nous attendent. Espérons que ma passion pour le patrimoine de Saintonge saura surpasser les difficultés et qu’un jour prochain, la petite sœur de l’Hermione d’époque romaine, fera la fierté des Saintais, au sein d’un nouveau musée d’Archéologie que nous attendons tous.