Jean Bernard-Maugiron, pour « Un carrelet sur l’île Madame »
Prix Jean-Claude Dubois
Jean Bernard-Maugiron, pour Un carrelet sur l’île Madame (éd. Du Ruisseau)
Rapport : Emmanuel de Fontainieu
Jean Bernard-Maugiron, ce bienheureux, possède un carrelet sur l’île Madame… Le ponton est perché à 6,4 m au-dessus de l’estran, dans l’ouest de la plus petite île de nos pertuis. « Fer à cheval rocheux rempli de bri », Madame est une île que l’on accoste difficilement. On y accède plutôt par un tombolo, passage de sable et de galets qui découvre à marée basse. Suspendu dans la lumière ou arpentant son territoire insulaire, l’auteur raconte ce qu’il vit, ce qu’il voit.
Les repères historiques émaillent le livre : l’épopée du sel, l’édification par l’État d’une ceinture de forts, l’épisode tragique des prêtres réfractaires martyrisés durant la Terreur, l’internement des communards puis des militaires « incorrigibles »…
Mais il raconte surtout un art de vivre dans le retrait du monde. « L’encabanage volontaire » dans un endroit si beau est une clé du bonheur. On y éprouve « la difficulté d’être, on y partage la joie d’exister ». Simplement ici, en son temps et en son lieu. Est-on jamais seul quand la nature s’offre à soi ? Il suffit d’ouvrir les yeux : fixer le miroitement de l’eau, observer les nuages, les étoiles, identifier les oiseaux, nommer les plantes et les créatures de la mer.
Ce faisant, ce manuel de la Vie belle poursuit une visée littéraire. L’écriture procède par digressions successives. Le projet du livre – faire le tour de l’île et rendre visible le passage du temps – dicte une démarche : l’auteur navigue « à vue », l’érudition se plaçant à la remorque de l’œil. Et l’inventaire devient plaisir de dire. Plaisir de lire aussi, par truchement. Jaillissement d’une matière poétique, adossée aux lais et relais de la mer.
« Plaignons les peuples sans marées ni saisons » !