Réception d’Éric Dépré au 14e siège de l’Académie
Discours de présentation par Didier Néraudeau
Éric Dépré est né en 1964 à Niort et habite Aigrefeuille d’Aunis. Intéressé très tôt par les fossiles, il ramasse ses premiers spécimens vers 9 ou 10 ans, et poursuit ses collectes depuis plus de quarante ans, toujours aussi curieux et passionné, jusqu’à réunir aujourd’hui près de 12 000 animaux et plantes fossilisés. Ses prospections, débutées en Charente-Maritime, se sont progressivement élargies aux autres départements du nord de l’Aquitaine et du Poitou, pour finalement couvrir quasiment toute la France, intégrant même des pièces paléontologiques remarquables venues de l’étranger et issues d’échanges avec des structures muséales d’autres pays.
Éric Dépré s’est toujours efforcé de faire partager ses découvertes et ses connaissances à un large public. Cette démarche a débuté avec la réalisation du musée qu’il a construit avec son père et dans lequel il organise des visites gratuites pour des scolaires, des universitaires ou des associations. Elle s’est développée avec la mise à disposition de ses fossiles pour des expositions grand public dans divers espaces muséographiques (Musée du Grand-Pressigny – 2011 ; Muséum Angoulême – 2014/15, Centre Minier de Faymoreau – 2013, Muséum de La Rochelle – 2015, Musée Vert de Le Mans -2015/16, …), voire en constituant la totalité du support de certaines expositions paléontologiques, comme à l’Aquarium de La Rochelle (La vie dans les lagons du Jurassique et du Crétacé – 2007 ; Poissons fossiles – 2010 ; Ammonites chef d’œuvres du temps – 2012).
Outre les musées et leurs expositions, Eric Dépré s’est investi dans la vulgarisation scientifique grâce à trois films co-réalisés avec Léon Damour et Pierre Miramand, la diffusion de ces films ayant été généralement suivie de conférences tout public sur les thématiques mises en images. Au total, rien qu’en région Poitou-Charentes, plus de 3000 personnes sont venues assister à ces documentaires paléontologiques et aux exposés associés.
Sur le plan de l’écriture, les activités d’Éric Dépré conjuguent des publications scientifiques et des guides de vulgarisation. Ses co-signatures d’articles académiques s’inscrivent dans l’étroite collaboration qu’il a tissée avec divers chercheurs CNRS ou enseignants-chercheurs universitaires avec qui il collabore fructueusement depuis 30 ans, au premier rang desquels on trouve les paléontologues de l’Université de Rennes. De multiples fossiles remarquables pour leur importance dans la compréhension de l’évolution du vivant ou ayant permis d’affiner la datation relative de couches géologiques ont en effet été collectés par Eric Dépré qui les a spontanément confiés à ses interlocuteurs scientifiques. Ces dons ont abouti à une trentaine de publications dans des revues nationales ou internationales, et certaines espèces fossiles ont été nommées en son hommage en remerciement de ce partenariat (par exemple la plante Eucalyptolaurus deprei). Ont ainsi été publiés tour à tour, grâce aux découvertes d’Eric Dépré, des insectes, des restes de dinosaures ou de requins, et des plantes fossiles datant du Crétacé. Parallèlement à ces publications, le matériel paléontologique collecté par Eric Dépré a constitué une part du matériel analysé par des étudiants en master, pour leurs stages de 2e année, ou en doctorat de paléontologie, dans le cadre de leur thèse, ces doctorants étant ensuite devenus eux-mêmes de grands paléontologues professionnels à Rennes (Vincent Perrichot, Romain Vullo), Montpellier (Vincent Girard), ou Paris (Jean-David Moreau). Dans le domaine de la vulgarisation, l’ouvrage sur la Paléontologie de l’Aunis : sur les traces d’Alcide d’Orbigny, qu’il a coécrit avec Pierre Miramand et Thierry Bouyer a été primé en 2021, par l’Académie de Saintonge. Leur dernier ouvrage, paru en 2024, met encore plus en lumière ces trésors paléontologiques de notre région.
En tant qu’enseignant-chercheur en paléontologie depuis 30 ans, j’ai eu l’opportunité de rencontrer de nombreux prospecteurs et collectionneurs amateurs de fossiles, certains d’entre eux ayant collaboré ponctuellement à mes activités de recherche ou à celles de collègues universitaires. Mais de toutes ces rencontres humaines et scientifiques, celle d’Éric Dépré est exceptionnelle par la combinaison d’une honnêteté et d’un dévouement sans faille, par la justesse et l’ambition de son questionnement scientifique, et par la qualité et la diversité de ses travaux, tant au service du grand public qu’à destination du monde scientifique. C’est avec bonheur et honneur que j’accueille aujourd’hui Éric Dépré à l’Académie de Saintonge.
Discours de réponse d’Éric Dépré
Mesdames et messieurs les académiciens, chers amis.
Merci à Didier Néraudeau pour ce portrait paléontologique sans faille.
Didier, cela fait bientôt près de vingt ans que nous partageons la même passion, la paléontologie.
Paléontologue, passionnant et passionné avec qui j’ai exploré de nombreux sites exceptionnels de notre territoire charentais. D’une rigueur paléontologique incontournable tu m’as aussi fait découvrir les interstices de cette discipline par le biais de nombreuses publications et ouvrages scientifiques.
Aujourd’hui, je suis honoré de me voir accueilli parmi vous mesdames et messieurs les académiciens en rejoignant cette belle institution qu’est l’académie de Saintonge. Ma soif de découvertes ne cherche qu’à s’ouvrir à la culture, au patrimoine et plus simplement au monde qui nous entoure. Aussi j’espère être à la hauteur de vos attentes me voilà propulsé au 14e siège à la suite de Marc Fardet académicien depuis 2001.
Marc Fardet est un personnage incontournable de la mémoire rochefortaise. Il fut responsable du service historique de la marine à Rochefort. On lui doit à ce titre l’inventaire des archives de la marine. Infatigable et déterminé, il est l’auteur de nombreux articles sur Rochefort et l’arsenal de Colbert.
Les travaux de Marc Fardet ont également été consacrés au sauvetage de l’architecture remarquable, qu’est ce magnifique monument enjambant la Charente : le pont transbordeur de Rochefort, dernier de sa catégorie. Nous pouvons aujourd’hui, admirer ce bel ouvrage fraîchement restauré.
Marc Fardet, par de nombreux articles, est aussi un ardent défenseur des paysages de Charente-Maritime en condamnant la prolifération des parcs éoliens. Du côté artistique, sous l’impulsion de son épouse Marie-Claude, il a créé un ensemble choral et instrumental dit de la Corderie Royale, spécialisé en musique baroque.
Des amarres de la Corderie Royale, c’est outre atlantique que Marc Fardet devait poser l’ancre afin de faire renaître par un ouvrage passionnant et fort bien illustré l’histoire d’un petit navire pour un grand destin « La Belle ». Ce bateau d’une quinzaine de mètres de long et d’à peine 5 mètres de large, appartenant à la flotte de Louis XIV, qui a coulé dans la baie De Matagorda en Amérique, mais demeure le symbole de la tentative malheureuse de Cavelier de la Salle de fonder un établissement français permanent dans le golfe du Mexique. Aujourd’hui, c’est au nom de cet héritage que le Capitole du Texas, à Austin, arbore aux côtés des emblèmes, espagnol, mexicain, et américain, le drapeau fleurdelysé des rois de France. Merci monsieur Fardet d’avoir apporté toutes ces connaissances pour enrichir la mémoire de notre département.
Sans transition, de l’océan liquide à celui du solide pris au chalut du temps dans le ressac des rocs, ce n’est pas la « Belle » que je suis allé chercher mais se sont bien des millions d’années d’histoire de la vie qui ont nagé vers ma curiosité. Dans cette Charente-Maritime aux multiples facettes, riche en secrets paléontologiques, c’est là que je devais aller.
Bercé non pas par les flots, c’est l’œil rivé sur les sols calcaires ou sableux de notre belle région que j’ai mis mes pas dans ceux de grands naturalistes comme Louis-Benjamin Fleuriau De Bellevue, Alcide Dessalines d’Orbigny, Charles Edouard Beltrémieux sans oublier Augustin-Marie Boisselier, chef de comptabilité à l’arsenal de Rochefort et passionné de paléontologie, à qui l’on doit la découverte des premiers ossements de dinosaure dans notre département, à St Agnant. Tous ces hommes m’ont ouvert un champ de prospection quasi illimité.
Riches de ces enseignements, c’est mon âme qui, à l’âge de neuf ans, est tombée dans les entrailles de cette terre charentaise pour devenir aujourd’hui ce que je suis.
Au milieu de nulle part, dans ces contrées charentaises où, je me suis tant de fois assis en tailleur, non pas pour la méditation mais pour l’interrogation, pour un instant voyager dans le temps, observer et se dire « il y a-t-il ici quelque chose que je ne vois pas ». Le temps s’arrêtait alors au moment où l’émerveillement commence : ici une dent de requin d’à peine 3 millimètres, là une vertèbre centimétrique d’un serpent ancestral, et me voilà transporté dans un voyage temporel sans limite.
Chef-d’œuvre du temps, mes découvertes devaient finalement servir la science et mon patronyme marqué pour la postérité, avec l’ancêtre des lauriers, Eucalyptolaurus depreii, mais aussi des termites ancestraux dédiés à mes deux filles Chloé et Salomé, ou bien la première plume de dinosaure de grande taille découverte en France ou bien encore une nouvelle famille de libellules, et bien d’autres par la suite.
Aidé par de nombreux passionnés, professionnels, amis dont Didier Néraudeau, Pierre Miramant, Thierry Bouyer, Léon Damour et bien d’autres ainsi que ma précieuse famille mon épouse Sylvie, nos deux filles, mes parents. Sans oublier la rencontre avec Pascal et Roselyne Coutant qui marquera une belle collaboration donnant naissance à des expositions remarquables dans ce lieu prestigieux qu’est l’aquarium de la Rochelle.
Ce sont aujourd’hui des milliers d’heures de prospections, près de 12 000 pièces réunissant plusieurs collections, ammonites, oursins, dinosaures, plantes que les scientifiques et naturalistes peuvent venir observer.
Belle reconnaissance que de rejoindre l’académie de Saintonge, mais aussi une belle reconnaissance et hommage à tous ceux qui m’ont soutenu depuis mes débuts jusqu’à ce jour.
Retrouvez les discours des nouveaux académiciens, la présentation des lauréats et l’ensemble de la cérémonie des prix sur la chaîne de l’Académie de Saintonge. La mise en images, la réalisation et la captation de la séance publique du 6 octobre 2024 sont l’œuvre de Christopher Jones et Blake Jones que l’Académie remercie chaleureusement.