Réception d’Anne Richard au 6e siège de l’Académie

Réception d’Anne Richard au 6e siège de l’Académie

Discours de présentation par Emmanuel de Fontainieu

Emmanuel de Fontainieu Les voies qui s’ouvrent dès l’enfance sont les plus prometteuses… Qui sait si le fait de naître dans l’abbaye Blanche de Mortain (ancien établissement cistercien de la Manche) n’a pas donné à Anne Richard quelques facilités dans sa relation avec le ciel ?

Vu du bocage normand, le magnifique spectacle de la nature s’inscrit très tôt au cœur de sa vie : tous les dimanches avec son père (médecin de campagne, l’exemple vivant d’une existence tournée vers les autres) dans de longues marches de découverte du pays et de mémorables escapades en camping-car de l’Écosse aux Pyrénées, en passant par la baie du Mont Saint Michel et ce graal des naturalistes : l’îlot de Tombelaine. Anne n’est pas scoute mais… élevée à la scoute, avec une dilection précoce pour les nuits à la belle étoile qui traversent l’éternité cosmique.

Ses études d’ingénieure en agriculture ne lui apportent pourtant pas ce qu’elle recherche. Pas plus que ses premières incursions professionnelles dans un milieu agricole dont elle n’est pas issue et qui ne jure que par le productivisme. Anne est en quête d’une autre forme de relation à la nature. Avec son mari, Bruno, qui travaille à l’INRA, quelques années passent en Bretagne. Anne consacre l’essentiel de son temps à l’éducation de leurs trois enfants. Un déclic se produit alors, découlant de son engagement associatif au sein de « Bretagne Vivante » puis de l’écomusée de Montfort-sur-Meu (Ile et Vilaine, en « Pays Pourpré » à la bordure de la forêt de Brocéliande). Ce qui n’est encore qu’une passion va devenir son métier : elle sera guide naturaliste, c’est-à-dire « intermittente du spectacle de la nature », spécialisée en botanique.

Connaître, comprendre et transmettre ce que l’on sait des plantes et fleurs sauvages demande d’abord une forte capacité à s’émerveiller en marchant. Mais passe aussi par l’acquisition inlassable de connaissances permettant le classement des herbes folles par familles, par espèces, leurs propriétés médicinales et alimentaires. Anne confesse un goût pour les milieux improbables et les coins délaissés : marais, buttes et chemins perdus qui se déploient comme de petits mondes. La passion de la connaissance ne serait rien sans l’envie de transmettre : après les inventaires et expertises, son érudition s’épanouit dans des conférences, stages, publications et sorties nature. En « distillateur de territoire », le guide naturaliste est orienté vers les autres.

En 1997, Anne et Bruno se fixent en Charente-Maritime. À Rochefort d’abord puis à Fouras, entre « espérance et paradis ». Une association voit le jour en 2004, « À fleur de marée, balades nature », un outil qui focalise Anne Richard sur la botanique du littoral, de l’estuaire, des îles. Suivent des herbiers, propositions de balades et livres de cuisine à base de plantes… Fouras, c’est aussi le lieu d’éclosion d’une nouvelle passion : la pratique du bain de mer quotidien (toute l’année !), exercice dont on ne dira jamais assez les bienfaits. Le froid saisit, mais le choc mène infailliblement à une forme de… résurrection. Le groupe des « Bonnets de grand-mère » se constituera un peu plus tard.

Parmi sa riche bibliographie, je voudrais souligner pour conclure un livre charmant qui résume la généreuse personnalité de l’autrice : Jeux buissonniers, une belle fête champêtre (Éditions La nage de l’ourse, 2022). Il explique comment confectionner des jouets éphémères ou pérennes à partir de végétaux : branchages, feuilles, fleurs ou fruits. Un livre conçu par une mamie magicienne avec l’aide active de six de ses petits enfants pour produire boîtes à trésors, mandalas, couronnes et colliers de fleurs, éventails et sifflets. La botanique trace aussi un chemin vers l’art d’être grand-mère.

Discours de réponse d’Anne Richard

Je remercie l’Académie de Saintonge de m’accueillir parmi ses membres, et tout particulièrement Emmanuel de Fontainieu qui avec élégance et délicatesse a su retracer mon cheminement, celui qui m’a amenée jusqu’à vous aujourd’hui. A cette évocation bienveillante, j’ajouterai quelques touches.

Je suis née en même temps que l’Académie de Saintonge, qui fête cette année ses 67 ans. Avec À fleur de marée, balades nature, l’association que j’ai créée en 2004 à Fouras, ce sont des milliers de personnes de tous horizons qui ont participé aux sorties de découverte de la flore et des paysages charentais. Transmettre, apprendre à s’émerveiller, changer son regard sur la flore spontanée « les mauvaises herbes », voilà ce qui me motive. Depuis 20 ans, j’ai aussi été sollicitée pour former des professionnels : les écogardes de l’île de Ré, les brigades vertes du Département, les services des Espaces Verts de nombreuses communes et même les animateurs nature de Terre de sel à Guérande.

En 2013, l’éditeur Les Petites Allées à Rochefort, lauréat de cette académie, a eu la bonne idée de publier un extrait de l’ouvrage que René Primevère Lesson avait publié en 1835, la Flore rochefortine. Cet ouvrage m’a captivée et j’ai eu envie d’en savoir plus. Je me suis rendue à l’Ancienne Ecole de Médecine Navale de Rochefort où j’ai pu consulter longuement l’intégralité de ce livre. Cette recherche m’a amenée à proposer une conférence, où après avoir présenté la vie passionnante et les voyages de RP Lesson, j’ai essayé de comparer la végétation actuelle autour de Rochefort avec celle qu’il a décrite dans la Flore rochefortine, et son évolution en 200 ans.

J’espère vous entraîner un jour dans mes pérégrinations naturalistes à la découverte de senteurs et de saveurs nouvelles ou oubliées offertes par la nature saintongeaise. Je prendrais pour exemple le maceron, une plante très commune sur nos côtes, qui aurait été introduite par les romains, consommée pendant tout le Moyen-Âge, et aujourd’hui tombée dans l’oubli.

e souhaite maintenant rendre hommage à mon illustre prédécesseur, Alain Braastad, que, grâce à la complicité de Christian Vernou, j’ai presque l’impression d’avoir connu.

Alain Braastad a vécu à Jarnac à quelques lieues de Cognac. Deux points essentiels ont marqué sa vie :

– Sa profession : directeur de la maison de cognacs Delamain à Jarnac, la marque préférée du président Mitterrand, lui-même né et inhumé à Jarnac (sa maison natale se visite, et des conférences s’y donnent toujours). La distillation est tout un art : il faut un assemblage savant pour obtenir la spécificité d’un cognac. C’est ce savoir-faire qui conforta la réputation et la prospérité de la maison qu’il dirigea pendant 29 ans, jusqu’en 2000.

– Ses passions : l’histoire régionale, le patrimoine, l’archéologie, la généalogie.

Alain Braastad est issu d’une famille d’érudits, les Delamain-Braastad : son ancêtre Philippe Delamain, archéologue a fouillé et publié le cimetière mérovingien d’Herpes. Son grand-père, Robert Delamain, était président de la Société archéologique et historique de la Charente, il était aussi spécialiste des faïences régionales. Un de ses grands-oncles, Jacques, était ornithologue et a rédigé plusieurs ouvrages de référence. Alain lui a rendu un vibrant hommage lors d’une conférence à l’abbaye de Châtres, pendant les dernières journées du Patrimoine. S’il paraissait un peu froid en premier abord, Alain Braastad était en réalité un homme chaleureux très cultivé, toujours prêt à discuter, à échanger sur de nombreux sujets. Il avait aussi un humour un peu british ; d’ailleurs, le milieu du cognac est très marqué par les relations avec nos voisins d’Outre-Manche.

Il allait souvent aider Christian Vernou lors de ses prospections archéologiques. Son épouse Marie-Lise, discrète et charmante, l’accompagnait souvent sur les chantiers de fouilles mais aussi dans ses recherches patrimoniales.

Alain Braastad était membre du GREH (Groupe de Recherches et d’Etudes Historiques de la Charente saintongeaise) et donnait des conférences sur des sujets variés. Il était aussi membre de la société des archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, cherchant inlassablement à retrouver les noms des personnes, des lieux ou des professions dans les documents anciens… Il a ainsi publié deux ouvrages de plus de 400 pages concernant la correspondance des Sieurs Bouniot, père et fils, adjudicataires du marché de fourniture en eaux de vie pour le magasin aux vivres de Rochefort.

À Jarnac, catholiques et protestants se côtoyaient en bonne intelligence. Alain Braastad, de famille protestante, a écrit sur l’histoire de la religion réformée en Charente et sur son rôle dans le négoce mais il a aussi écrit une monographie sur l’église de Jarnac. Il s’est beaucoup intéressé à l’histoire des religions.

Enfin, pour compléter ce tableau des nombreux talents et de l’éclectisme des centres d’intérêts d’Alain Braastad, j’ajoute qu’il était aussi un homme respectueux de la nature, souvent révolté des abus des hommes. Contemplatif, il ne se lassait pas d’admirer la beauté des choses. En cela, nous nous rejoignons bien et je suis très honorée de m’asseoir au 6e siège qu’il a occupé avant moi durant 25 années.

Retrouvez les discours des nouveaux académiciens, la présentation des lauréats et l’ensemble de la cérémonie des prix sur la chaîne de l’Académie de Saintonge. La mise en images, la réalisation et la captation de la séance publique du 6 octobre 2024 sont l’œuvre de Christopher Jones et Blake Jones que l’Académie remercie chaleureusement.

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